Une mémoire d’intimité et de destruction : filmer la famille depuis la guerre civile au Liban
En s’inscrivant dans la lignée des films tournés durant la guerre, les cinéastes de la génération 2000 au Liban ont fait de l’éclatement de la cellule familiale l’un des enjeux majeurs de leurs films, en articulant cette production d’images autour d’enjeux mémoriels autobiographiques et familiaux. Ce faisant, en réinterprétant des motifs classiques de l’intimité de la guerre au cinéma et dans la culture, ils dessinent le portrait de familles où les traumatismes liés aux conflits se nourrissent les uns des autres de façon circulaire, et font du microcosme familial la métaphore de la situation nationale, à la recherche d’éléments permettant de construire une mémoire commune de la guerre civile et de ses traces au quotidien.
To cite this paper: Thomas Richard,"Une mémoire d’intimité et de destruction : filmer la famille depuis la guerre civile au Liban ", Civil Society Knowledge Centre, Lebanon Support, 2023-12-01 00:00:00. doi:
[ONLINE]: https://civilsociety-centre.org/node/75935Introduction
En choisissant de donner une dimension profondément familiale à l’une des « petites guerres » qu’évoque son film éponyme, celle d’un fils de zaim qui doit assurer la direction familiale après le kidnapping de son père, Maroun Bagdadi confère dès 1982 une tonalité spécifique aux enjeux de représentation de la guerre civile libanaise (1975-1990), en liant la violence de la guerre aux rôles genrés au sein de la famille, et l’intimité personnelle au drame national (Khatib 2007).
Si le cinéma libanais d’après-guerre se définit entre autres par son rapport à la ville et à sa ruine, présentant Beyrouth comme un symbole de la nation divisée et de sa difficile réconciliation (El-Horr 2014 et Yazbek 2012, 23), ce rapport à l’espace urbain, comme dans le film de Bagdadi, se double d’un lien étroit à l’intimité familiale sur les écrans. Le cinéma d’après-guerre, défini par Katia Jarjoura, elle-même réalisatrice, comme celui des « enfants du chaos » (Jarjoura 2007), n’a cessé de revenir sur ces deux termes : le chaos de la guerre, dont la mémoire demeure vive, et le rapport à la famille de ces enfants nés et ayant grandi durant la guerre (Doueiri et Passevant 2004).
La guerre civile elle-même, hormis dans des œuvres réalisées par des cinéastes étrangers, comme Le Faussaire (Schlöndorff 1981), Nahla (Beloufa 1979) ou plus récemment La Porte du Soleil (Nasrallah 2004) et Incendies (Villeneuve 2010), apparaît rarement à l’écran, sinon, comme chez Bagdadi sous la forme de « petites guerres », engageant quelques personnages, un quartier, ou lorsqu’elle cesse d’être guerre civile pour devenir guerre contre l’ennemi israélien dans Tous pour la patrie (Bagdadi 1979), restant autrement, comme le souligne Elie Yazbek, « presque invisible », (Yazbek 2012, 35). Par comparaison, l’intimité familiale, filmée sous l’angle du drame, occupe l’essentiel de l’action, la famille agissant comme métaphore de la situation du pays en guerre, que ce soit sous l’angle de la division, de non-dits conditionnant les comportements, ou d’une spirale de violence détruisant les liens entre ses membres. En reliant ainsi l’intimité familiale au corps national, les réalisateurs s’inscrivent dans une appréhension de la représentation qui prend appui sur l’idée du corps politique telle que développée au début de l’époque moderne (Tait 2008). Cette métaphore du corps permet de penser l’unité dans la division du politique et de proposer une interprétation de ses troubles. Cette articulation est particulièrement éloquente dans le contexte libanais, compte tenu de la prégnance des structures de pouvoirs familiales anciennes, celles qu’évoque justement les Petites Guerres (Joseph 1991), et qui ont été profondément modifiées par la guerre (Mervin et Mermier 2012, 7, 461). L’enjeu ici est une représentation de la politique, où la famille est appréhendée artistiquement comme le miroir du pays dans ses traumatismes, dans une logique d’intersection entre l’intime et le national (Collins 1998).
Partant de là, nous nous situons à la croisée d’une double dimension théorique : d’une part en nous inscrivant dans les problématiques de transformation de la famille lors des conflits, qui auront trait au deuil, notamment à la disparition d’une partie des hommes dans les combats. Lors des retours vers l’intimité familiale, ces enjeux rencontrent ceux d’une masculinité qui se redéfinit à l’aune de la violence et de la redistribution des rôles familiaux à l’issue de la guerre (Cabanes et Piketty 2015 ; Capdevilla 2002). Cette redistribution des rôles correspond par contraste à l’acquisition de nouvelles responsabilités par les femmes (Saiget 2015), et souvent, à des espaces de libertés nouveaux pour les enfants en même temps qu’à un regard renouvelé qu’ils posent sur la génération précédente (Audoin-Rouzeau 2006 ; Gannagé 1999, 83). Dans le cas libanais, ces enjeux revêtent particulièrement la forme de la redéfinition des rapports au sein de la famille au sortir de la guerre tels qu’étudiés par Suad Joseph en 2004, notamment par rapport à la perpétuation de la relation patriarcale (Joseph 1994). D’autre part, notre objet nous situe dans la lignée des recherches entreprises sur la question de la représentation artistique de la famille face à la guerre (Morag 2009, 18, 225), notamment dans des contextes où la fin du conflit correspond à l’éclosion de recherches artistiques qui tentent de donner sens au traumatisme tout juste passé, comme ce fut le cas avec le néoréalisme italien (Ben-Ghiat 2008). C’est justement le cas au Liban, où la guerre civile et sa mémoire sont des enjeux artistiques fondamentaux (Elias 2018, 120, 160), notamment dans un récit de l’intimité du soi (Nikro 2012, 65, 157), et où la cassure personnelle apparaît comme un miroir de l’unité nationale en miette. Ce travail de l’art sur la mémoire et la diction du traumatisme a particulièrement irrigué la production littéraire libanaise (Calargé 2017 ; Tamraz 2014), le cinéma apportant à la réflexion artistique commune les atouts de ses modes de récit et de mise en image. Cette question est également présente chez Suad Joseph, dans son travail sur l’articulation du familial au national (Joseph 1997) et poursuit la réflexion menée par Ahmad Beydoun sur le caractère « incivil » de la guerre. La famille, seule institution qui lui semblait avoir survécu à la fragmentation du pays, devint précisément pour les réalisateurs le noyau permettant d’exprimer les traumatismes et les fractures qu’il observait (Beydoun 1993, 43, 53, 177). Le travail d’artiste se situe de ce fait également dans les débats en cours sur la mémoire au Liban, notamment par rapport aux enjeux essentiels que sont les traces de la guerre (Ayoub 2017), et la question récurrente de l’amnésie, personnelle et nationale (Haugbolle 2010, 29, 64 ; Barak 2007). En cela, les cinéastes proposent une interprétation des transformations de la biopolitique (Foucault 2004) dans une société sectarianisée (Nagle 2020), la faillite des autorités anciennes, celle de l’époque chéhabiste étudiée par Ahmad Beydoun, étant aussi une déliquescence du contrôle des corps et des vies, sans que les espaces de liberté ainsi dégagés n’aient pu permettre de développer un ordre stable.
De là dérive notre question principale : comment les cinéastes ont-ils choisi d’interpréter les transformations familiales nées de la guerre civile pour en faire un élément signifiant de leur démarche artistique et mémorielle ? Ce faisant, en poursuivant la thématique du biopouvoir, comment s’organise la symbolique qui relie le microcosme familial au drame national de la guerre, qui transforme la famille en un « champ de bataille », pour reprendre le titre de Danielle Arbid ? Et, secondairement, quels sont les thèmes qui structurent cette production d’images ? Pour répondre à ces questions, nous avons rassemblé un corpus de longs et moyens-métrages documentaires et de fictions, filmés durant et après la guerre, au sein desquels la famille est soit l’enjeu majeur du récit, soit le cadre au sein duquel celui-ci se déploie, à savoir une trentaine de films réalisés par des metteurs en scène libanais, adultes au moment de la guerre, ou ayant vécu celle-ci dans leur jeunesse, et donc pour qui l’enjeu intime des affrontements de la guerre civile correspond à une mémoire encore vive. Ce corpus comprend ainsi une partie des œuvres telles que Murmures (Bagdadi 1980) ou Beyrouth la rencontre (Alaouié 1981) pour les réalisateurs adultes au moment de la guerre, et des films comme Héritages ( Aractingi 2013), Peur de rien (Arbid 2015), West Beyrouth (Doueiri 1998) ou Et maintenant on va où ? (Labaki 2011) pour la génération de ceux arrivés à l’âge adulte après les accords de Taëf.
Pour mener notre étude, nous procéderons en deux temps principaux, articulés autour de la modification des structures familiales du fait de la guerre : tout d’abord, en étudiant la façon dont à l’écran la guerre apparaît sous l’angle de la destruction des repères et autorités, notamment au travers de l’effacement de la figure paternelle. Nous nous pencherons ensuite sur les ambivalences des nouvelles responsabilités et libertés acquises par les femmes et les enfants, telles qu’interprétées par les cinéastes.
I- Masculinité et paternité en crise, symboles de la perte de l’unité nationale
Dans leur appréhension du microcosme familial comme métaphore de la situation nationale, les cinéastes se sont particulièrement penchés sur la situation des figures masculines, mettant en scène à la fois la violence et l’impuissance d’une masculinité entrée en crise du fait de la guerre, et l’effacement de la figure des pères, symbole de la perte de repères du Liban contemporain.
La maison divisée contre elle-même : impuissance et violence masculines
Prenant appui sur les thématiques de la masculinité telles que développées par le cinéma durant la guerre par Maroun Bagdadi (Khatib 2007) ou dans le film Beyrouth la rencontre (Alaouié 1981) , les films d’après-guerre insistent sur les transformations de la masculinité au sein de l’espace familial, que la guerre contraint à osciller entre deux pôles, soit une impuissance plus ou moins dissimulée, soit une affirmation de virilité agressive, les deux pouvant se superposer chez un même personnage, l’affirmation virile servant alors d’écran qui dissimule l’impuissance. C’est notamment cette dimension qui est soulignée dans Panoptic (Eid 2017), où la réalisatrice Rana Eid s’adresse à son père décédé, figure de masculinité militaire, évoquant son allure, son uniforme, mais entièrement impuissant face à la présence des soldats israéliens qui le chassent de chez lui, ou syriens, qui exercent la véritable autorité au Liban, appuyée sur les centres de détention.[1] Le dispositif souligne ce contraste en mentionnant uniquement dans le texte la fonction militaire du père, lui conférant une autorité virtuelle, tandis qu’à l’écran ce sont les bâtiments massifs des ruines de la guerre, notamment la Tour Murr et l’Hôtel Beau Rivage, ancien quartier général des services de renseignement syriens, qui apparaissent.
Cette thématique est particulièrement explorée par le film de Danielle Arbid, Dans les champs de bataille, qui place au centre de son propos la figure paternelle, agressivement virile, et autour de laquelle se décompose la famille sous le regard de l’enfant, narratrice du film, et voix de la réalisatrice (Videau 2005). Le film en lui-même peut être lu comme une esthétique de l’auto-destruction, terme utilisé par Miriam Cooke en 2002 pour caractériser l’approche de la réalisatrice vis-à-vis du paysage urbain, mais qui prend ici un sens intime. Situé aux débuts de la guerre, Dans les champs de bataille montre la maisonnée graduellement aspirée par une spirale destructrice, qui entraîne les membres de la famille, vivant chacun dans leur sphère sans communiquer autrement que par la violence, métaphore des communautés nationales, et liée à une présence étrangère disruptive, en l’occurrence l’aide-ménagère d’origine syrienne. On peut interpréter cette présence comme un regard extérieur face aux déchirements libanais, en sus de l’enjeu social qu’elle souligne, vis-à-vis des travailleurs immigrés (Dyer 2010). À ce niveau de lecture calquant le national sur l’intime, le père, insouciant et lui-même violent, n’attirant aucun respect des autres protagonistes, apparaît comme une métaphore de la classe politique et de l’État libanais, incapables de faire face à la crise. La mort de ce personnage, qui clôt le film, est le miroir de la destruction de l’État au moment où la guerre s’intensifie. En cela, le film, considéré comme une œuvre post-amnésie (Sawalha 2014) peut être vu comme représentatif d’une tendance interprétative de la famille du cinéma libanais, où la mémoire intime de la narratrice se mêle étroitement au drame national. L’enjeu y est de souligner le caractère civil de la guerre au sens le plus fort par cette insistance sur l’intimité du conflit.
Lorsque les deux thèmes de l’impuissance et de l’agressivité ne sont pas liés à un personnage, ils sont rabattus par les cinéastes sur deux figures antagoniques au sein de la famille. L’impuissance est avant tout celle des pères, incapables de protéger leurs proches, qui se trouvent livrés à eux-mêmes. Les cinéastes libanais recentrent le modèle d’impotence de la masculinité militaire en crise décrit par Raya Morag (Morag 2009, 225) sur la figure paternelle, lui donnant un nouveau sens, en lui retirant son caractère guerrier pour se focaliser sur la perte d’autorité et la fragilisation personnelle. Dans le cas le plus extrême, cela correspond à la mort du père, telle que présentée par Zozo (Fares 2005). La figure paternelle détruite par la guerre est remplacée par un père de substitution (le grand-père) en Suède, où le réalisateur axe son propos sur la reconstruction progressive de l’enfant au sein d’une cellule familiale recréée loin du conflit. L’impotence peut aussi se manifester par une forme de retrait, à l’instar du père de l’un des enfants dans West Beyrouth (Doueiri 1998), qui se réfugie dans la religion en insistant sur l’orthopraxie, présentée comme un cadre auquel il entend soumettre sa famille, mais qui apparaît vide de sens à son fils. Cet aspect est d’autant plus signifiant qu’il s’agit d’un film de mémoire, qui reconstruit notamment le ressenti des divisions communautaires, devenues capitales avec la guerre (Nagel 2002), sans pour autant permettre à ce père de restaurer son autorité perdue.
Face à ces pères impuissants se dresse l’autre figure, celle qui cette fois fait fond sur le modèle d’hyper-masculinité agressive (Morag 2009,173) et s’articule avec l’une des icônes du cinéma libanais, le milicien (Hourani 2008). Cette représentation correspond à un enjeu mémoriel et cinématographique essentiel (Haugbolle 2012), qui plonge ses racines dans la très forte présence milicienne au sein des films tournés durant la guerre elle-même, et sur les effets de leurs violences, interrogés notamment par Maroun Bagdadi (Khatib 2007 ; Randall 2020). Dans le cinéma d’après-guerre, le milicien est moins présent à l’écran, il apparaît plutôt comme une menace dans les dialogues, ou une silhouette traversant certaines séquences. Il est présenté à la fois comme extérieur au cercle familial étroit, mais relativement proche (cousin, famille éloignée, lié au voisinage), et revendiquant une autorité sur l’espace familial qui se trouve au centre de l’intrigue. Cependant, cette mise à distance du milicien n’est que partielle, au sens où son hyper-masculinité, son agressivité, et sa revendication de contrôle sur l’espace et les mœurs sont aussi reprises par les personnages de jeunes hommes au sein des familles mêmes. Les fils adultes et les frères s’imposent comme revendiquant l’autorité délaissée par les pères. Cela s’aperçoit dans Balle perdue (Hachem 2010), qui lie justement les enjeux du corps au sein de la famille (féminin et masculin) à la ville et aux enjeux de contrôle (Maroun 2020), où l’héroïne est soumise au regard inquisiteur de son frère, avide de maîtriser les circulations, les relations, et dont l’attitude mime, au sein de la cellule familiale, le rôle des miliciens aux points de contrôle. On retrouve notamment là certaines réflexions de Suad Joseph sur les transformations du patriarcat au sein de la cellule familiale du fait de la guerre (Joseph 1994). Cette virilité agressive est particulièrement mise en valeur dans Le déjeuner (Bou Rjeily 2017), explicitement conçu par son réalisateur comme une métaphore de la situation du Liban. Face à un père incarnant l’impuissance, les fils et gendres se disputent en affirmant leur virilité. Leurs propres familles deviennent alors des factions au sein de la maisonnée,[2] pour tenter de découvrir qui s’est approprié la fortune familiale, rappel de l’enjeu représenté par le contrôle des ressources étatiques. Le film multiplie les références à la corruption et à la faillite des élites dans ses dialogues, et ce jusqu’à ce que la violence devienne physique avec les premiers coups de feu tirés derrière une porte close, laissant planer le mystère sur leur auteur et leur victime.
Les disparitions et l’effacement de la figure d’autorité
Une autre dimension de la crise de la masculinité utilisée par les cinéastes est un développement extrême des figures de l’impuissance, à travers la mise en scène des disparitions, qui, à l’écran, concernent quasi exclusivement des figures d’autorité, soit à travers les kidnappings, suivant en cela la voie ouverte dans Les petites guerres, soit à travers la détention. Deux thématiques se dégagent : d’une part la disparition de l’ordre que pouvaient incarner ces personnages paternels, et d’autre part l’incapacité de la génération suivante à prendre leur relais ou à incarner une transformation de cet ordre.
En effet, significativement, les jeunes disparus et leur incidence sur les familles sont remarquablement absents à l’écran (Skaff 2015), pour des récits qui se concentrent sur la valeur symbolique et mémorielle de ces disparitions en tant qu’objets esthétiques et participant du regard porté sur le pays (Young 2000). Cet enjeu répond notamment aux problématiques de la mémoire et de la recomposition de la société par rapport à la guerre (Nikro 2019 ; 2012, 31), dans un jeu complexe de disparitions et d’apparitions à l’écran (Sayegh, sans date) qui résonne avec les fragmentations de la mémoire libanaise (Nikro 2012,129, 157), et son alternance entre hypermnésie et amnésie (Calargé 2017, 25, 86).
En lien avec le drame intime des familles, les films inscrivent les disparus dans une forme de présence-absence, marquée par les affaires soigneusement rangées du père disparu de A perfect day (Hadjithomas et Joreige 2005), dont son épouse ne parvient pas à déclarer le décès des années après la fin du conflit. Symbole de son autorité et de sa masculinité, parmi ces affaires, son pistolet tient une place particulière, bien qu’ayant été incapable de le protéger. En écho avec une expression récurrente,[3] ces disparitions soulignent la fin du « Liban de papa », celui d’avant-guerre, avec ses sociabilités, ses rites, ses pouvoirs marqués par la présence des grandes familles et que le conflit a profondément modifiés, notamment sous l’impulsion des chefs de guerre (Mermier et Mervin 2012, 419, 461). Cependant, la disparition revêt un sens particulier à cet égard en insistant autant sur la rémanence de ces figures dans les esprits et dans certaines pratiques que sur leur absence. Le caractère irréel et presque onirique de certains films comme Falling from Earth (Zeneddine 2007) est lié à cet entre-deux, la présence de cet ancien Liban étant encore palpable, notamment à travers les photos collectionnées par le personnage principal, tandis que la mère de famille de A perfect day mime encore les rapports sociaux tels qu’ils existaient du temps de son mari. La disparition installe une forme de latence mémorielle (Silverman 2021), qui laisse familles et société en suspens, face aux fantômes de la mémoire (Ayoub 2017).
Le retour du disparu, qui a été développé par Bahij Hojeij dans Que vienne la pluie (Hojeij 2010), renforce cette masculinité en crise, en le liant d’autant plus étroitement à la ville et aux rôles genrés au sein de la famille qui ont été transformés par la guerre. Le héros, kidnappé durant les affrontements, profondément marqué par ceux-ci, et relâché des années après, voit son identité personnelle mise à l’épreuve par son incapacité à s’adapter à la nouvelle vie urbaine de Beyrouth et à retrouver la place de chef de famille qui était la sienne auparavant (Fouladkar 2013 ; Launchbury 2010). Il est placé par le cinéaste dans un entre-deux, il n’est plus disparu, mais il n’est pas réellement revenu. Il devient alors une gêne pour sa famille qui a tenté de se reconstruire, en incarnant les conflits du souvenir, entre présence obsédante et volonté d’oubli, aussi bien de l’ancienne organisation familiale que de la guerre.
Le pendant de cette situation se retrouve dans les portraits qui sont brossés des fils des disparus. Bien que devant prendre la suite de leurs pères, là encore à la suite des personnages dessinés par les Petites guerres, ils en apparaissent incapables. Le fils de zaim filmé par Maroun Bagdadi, bien que devenu chef de famille, ne parvient ni à s’imposer comme l’équivalent de son père ni à incarner une nouvelle forme d’autorité et d’ordre, et les personnages créés par les cinéastes d’après-guerres restent prisonniers de cette situation. En écho au caractère d’irréalité de sa situation, Joana Hadjithomas et Khalil Joreige caractérisent Malek, leur héros, par des troubles du sommeil qui le placent dans cet entre-deux, lié à une disparition qui n’est pas la mort, et à une présence qui n’est pas la vie, la latence qui s’impose au pays étant incarnée dans son propre corps. Au lieu de se reconstruire, lui et ses équivalents sont présentés comme vivant dans un éternel présent (Grugeau 2005), entre passé et futur, mais perpétuellement en déséquilibre, comme le montre la scène de course du personnage reprise sur l’affiche du film, qui souligne le contraste entre la stabilité (même ambigüe) qu’incarnaient les disparus et l’incertitude de la situation qui pèse sur la génération suivante.
Conséquence de cette incertitude, ces fils, bien que déjà adultes, apparaissent au sein de la cellule familiale toujours partiellement en état de minorité. Malek est responsable de la maisonnée, mais bute quand il doit s’opposer à sa mère. De la même façon, le héros de Falafel (Kammoun 2006) est censé être devenu chef de famille avec la disparition de son père. Pourtant, mal à l’aise dans ce rôle, il apparaît, dans ses relations comme dans ses loisirs, comme encore jeune, sinon presque adolescent (Fouladkar 2013), lui aussi bloqué dans un présent que hante le passé (Khatib 2011). Son parcours dans la ville mime cette situation, en le menant de la fête dans les immeubles récents jusqu’à la rencontre d’une des rares figures masculines d’autorité du film, en la personne d’un ancien milicien dans les ruelles encore marquées par les traces des combats et la déréliction. Ce faisant, à travers son personnage, le réalisateur fait rencontrer l’espace et le temps, deux des dimensions qui orientent la mémoire collective (Halbwachs 1997,143, 193). Il articule la mémoire intime à celle du pays, au travers de l’impuissance du personnage face à l’ombre du père disparu. Répondant à une interprétation majeure de la situation du pays par les artistes, il est « suspendu » (Elias 2018,185) dans le temps et l’espace, avançant sur place, en quelque sorte. Son impasse personnelle répond à celle du Liban, le film articulant la culture de la fête et le rapport à l’immédiateté qui se sont développés dans l’après-guerre (Bonte 2019) à une forme d’aporie politique au travers de l’expérience intime de son personnage.
Si les figures masculines apparaissent centrales dans la redéfinition des rôles au sein de la famille libanaise d’après-guerre, elles ne prennent néanmoins tout leur sens que par l’opposition que construisent les cinéastes avec les personnages de femmes et d’enfants. Ceux-ci, du fait de la crise des virilités, se voient attribuer de nouveaux rôles, qui sont pour autant loin d’être dénués d’ambiguïtés.
II- Les ambiguïtés de la liberté et de la puissance chez les personnages féminins et enfantins
Par contraste avec les crises de la masculinité, l’expérience particulière des femmes durant la guerre au Liban (Holt 2013) a été marquée par l’intimité de la violence sociale, militaire, sexuelle ou psychologique et des engagements politiques transcendant la frontière des sexes (Holt 2010). Cette situation pourrait permettre aux réalisateurs de développer un récit insistant sur de nouvelles responsabilités et de nouveaux pouvoirs des femmes. La disparition de l’autorité paternelle permettrait par ailleurs dans ce cas d’insister sur les espaces de liberté découverts par la génération des enfants de la guerre. Si ces dimensions sont présentes, elles sont néanmoins fortement marquées par l’ambiguïté et les limites posées à ces évolutions qui résultent de l’articulation entre l’espace familial et le macrocosme national.
Des femmes fortes, mais à l’autorité limitée
Face à la perte de repère de leurs personnages masculins, les cinéastes des années de guerre avaient développé des portraits de femmes fortes, chez Borhan Alaouié, ou Maroun Bagdadi, qu’il s’agisse de fictions, ou de films documentaires, comme Murmures (Bagdadi 1980) qui suit la poétesse Nadia Tuéni dans son parcours du Liban en guerre, et qui, sans négliger sa souffrance, insiste sur la maîtrise de son destin. Dans une certaine mesure, on retrouve cette thématique chez les réalisateurs de la génération de l’après-guerre. On peut ainsi voir une lignée partant des femmes fortes filmées au Sud-Liban dans les documentaires de Maroun Bagdadi (La plus belle des mères [Bagdadi 1978]) (Randall 2020) qui cherchent à dépasser les divisions confessionnelles par la mise en avant d’une dimension affective vis-à-vis de l’ennemi israélien. Après-guerre, y répond l’affirmation personnelle et politique de la jeune mariée du Cerf-volant (Chahal Sabag 2003) qui fait voler en éclats frontières et contraintes familiales en conquérant (à tous les sens du terme) le cœur d’un soldat druze israélien.
Cette libération des femmes face à la guerre est particulièrement exprimée dans Et maintenant on va où ? (Labaki 2011), reçu par la critique comme une révolution féministe (Gendron 2012). Film tourné par une femme sur des femmes, il est voulu et perçu comme tel à la fois par la cinéaste et par l’analyse académique (White 2012). Dans le village imaginé par la réalisatrice, en effet, ce sont les femmes qui prennent l’initiative, et qui, par contraste avec des personnages masculins velléitaires et potentiellement violents, refusent en bloc le retour de la guerre. Ce faisant, la réalisatrice désobjective les femmes, en fait les sujets de son film et les actrices de leur destin, et, du point de vue cinématographique, prend ses distances avec le male gaze pour imposer une lecture féminine des affrontements (Kokko 2012). En cela, ce film-fable s’inscrit dans une tradition littéraire et artistique de longue durée, celle de la puissance des femmes dans leur opposition à la guerre, basée sur la mémoire de la souffrance imposée par les hommes. Les héroïnes qu’Anna Kokko voit ainsi « s’échapper du harem » apparaissent comme des Lysistrata libanaises (Foley 1982), usant de leur féminité pour faire échouer le conflit. La femme, gardienne du foyer, et responsabilisée par la faillite des hommes, restaure l’unité de sa maisonnée et en fait un espace politique redevenu stable, qui s’oppose aux forces centrifuges libérées par les hommes lors de la guerre.
Cependant, même si le film est construit en écho aux bouleversements libanais, son ancrage littéraire a aussi pour effet de le dégager des enjeux mémoriels propres à la guerre civile, et, selon la façon dont ils envisagent ceux-ci, les cinéastes tendant à nuancer cette idée de pouvoir féminin face à et dans la guerre. Une première limite tient à la production d’images de femmes combattantes et militantes. Quelques-unes tiennent des rôles de cet ordre face aux Israéliens, notamment, avec des nuances, dans la série d’Al-Manar Al Ghaliboun[4] (2010-2012) (Calabrese 2013). Mais hors de ce contexte particulier, les femmes combattantes n’apparaissent que dans la production canadienne de Incendies (Villeneuve 2010) d’après Wajdi Mouawad (Green 2012), qui insiste essentiellement sur la violence faite à l’héroïne (Bernard-Hoverstad 2013), et dans le film écrit par Elias Khoury et réalisé par Yousry Nasrallah, La Porte du Soleil (Nasrallah 2004), à travers le personnage d’une militante palestinienne. Dans ces deux cas, la forme de pouvoir prise par ces femmes peut aussi se lire comme une mise à l’écart : mise à l’écart de la communauté nationale libanaise, les deux étant liées à la cause palestinienne, et mise à l’écart de la vie de famille, la première étant rejetée par ses parents avant de voir sa famille détruite par la guerre, et de ne retrouver un rôle de mère que dans l’anonymat et à l’étranger. La militante palestinienne, pour sa part, est présentée comme étrangère à la vie familiale, et finalement assassinée par ses proches. De ce fait, dans le travail mémoriel fait par les réalisateurs, la prise de pouvoir des femmes dans la guerre reste étroitement liée à la sphère domestique, leurs pouvoirs politique et militaire s’exprimant dans des œuvres produites à l’étranger, et coupant toute articulation entre l’espace national et l’espace intime. La crise de la masculinité entraînée par la guerre devient une crise de la féminité chez celles qui adoptent des rôles considérés comme masculins.
L’autre nuance à apporter à ces nouveaux rôles féminins tient à leur dimension symbolique, et à leur articulation à la sphère nationale. Le cinéma des années d’après-guerre est riche en personnages de femmes fortes et aimantes, points d’ancrage de leurs familles face à la crise ou à la disparition de l’autorité paternelle, et qui incarnent une forme d’autorité alternative plus bienveillante. La femme du disparu de Que vienne la pluie, la matriarche du Déjeuner incarnent cette figure. La mère de Sous les bombes (Aractingi 2007), qui cherche désespérément son fils, y répond pour l’actualité la plus récente, dans un film où le souvenir de la guerre civile s’entrecroise avec la violence de celle de 2006 (Bonnet 2013 ; Kotecki 2010) dans une dimension autofictionnelle qui vise à interroger la mémoire, et notamment les mémoires familiales et intercommunautaires. Cependant, ce pouvoir demeure limité à la sphère domestique et à sa protection, sans traduction directe dans le champ politique : les personnages de mères apparaissent comme des figures du refuge, qui subissent les bouleversements nationaux, mais leur tournent le dos pour tenter, par contraste, de maintenir un fragile équilibre au sein de la sphère familiale, signifiant le retrait de l’espace public, sinon la disparition de celui-ci, privatisé (Falafel) ou lieu d’affrontements (Sous les bombes). Les trois héroïnes de Chaque jour est une fête (El-Horr 2009), film choral construit autour de trois femmes allant visiter la prison lointaine où sont détenus leurs proches masculins le jour de l’Indépendance semblent à première vue échapper à ce schéma. Dans ce film, lui aussi explicitement pensé comme métaphore de la situation du pays,[5] en liant ainsi le politique aux rôles familiaux de ces femmes, la réalisatrice articule son film avec sa réflexion de chercheuse sur la « mélancolie » du cinéma libanais d’après-guerre (El-Horr 2016), et sur la place des femmes au sein de celui-ci, par les personnages et en tant que réalisatrice (2011). Cependant, si les héroïnes échappent aux stéréotypes de la figure maternelle face à la guerre et, loin des hommes et de leur regard, parviennent à une forme d’indépendance, la dimension symbolique de la femme victime de guerre, comparable à celle développée par Nadine Labaki, demeure majeure, et la crise généralisée irrésolue, la solidarité montrée entre femmes se faisant là aussi en tournant le dos au politique.
Liberté et impuissance chez les enfants de la guerre
En ce qui concerne la situation des enfants dans les conflits et face aux violences vécue par leurs familles, trois représentations majeures peuvent être identifiées dans la filmographie libanaise : celle de l’enfant souffrant (Myers-Walls 2004 ; Pignot 2012, 120) dans son esprit et dans sa chair, celle de l’enfant mobilisé, exploré au travers de la thématique des enfants soldats (Singer 2006, 37) et de la mobilisation culturelle (Audoin-Rouzeau 2004,15), et celle, marquée artistiquement par la figure de Raymond Radiguet, de l’enfant qui, avec l’éclatement du cadre familial découvre de nouvelles libertés (Régent 1959). Dans ce dernier cas, le rapport à la mémoire joue un rôle particulièrement important, fondé sur les souvenirs de ceux qui étaient enfants durant le conflit, tandis que les deux premières figures sont davantage liées à des regards d’adultes.
Cette nuance est particulièrement importante dans le cas du Liban avec le passage des générations de cinéastes, depuis celle qui a vécu la guerre en tant qu’adulte vers la « génération 2000 », celle des cinéastes qui ont connu le conflit durant leur enfance. Durant les affrontements, les deux premiers thèmes ont été explorés à travers les documentaires de Maroun Bagdadi (Tous pour la patrie, où, dans le Liban-Sud ravagé par les bombardements israéliens, les enfants d’une école s’entraînent à chanter l’hymne national) ou de Mai Masri et Jean Chamoun avec Beyrouth, génération de la guerre (Masri et Chamoun 1988). Ces derniers s’attachent notamment à suivre le parcours de jeunes miliciens mobilisés par les différentes factions, et d’enfants contraints de prendre des rôles d’adultes pour soutenir leurs familles (Brittain 2020, 45). Il s’agit en l’occurrence de films de réalisateurs adultes, témoins des ravages de la guerre sur la jeunesse de leur pays et de l’éclatement des références et des soutiens familiaux.
Si la violence de la guerre n’est jamais niée dans les films de la génération de l’après-guerre, c’est davantage le thème des nouvelles libertés qui est exploré sous l’angle mémoriel, ainsi que les impensés de cette liberté d’alors. Avant tout, il s’agit des difficultés pour se construire en tant que personne dans un environnement privé de cadres et de références, et face à l’impossibilité de la transmission familiale.
Le film qui a sans doute le plus marqué dans son évocation de l’enfance durant la guerre du Liban est West-Beyrouth (Doueiri 1998), partiellement construit à partir des souvenirs du réalisateur, et marqué par une forme de nostalgie pour les libertés inouïes qu’ont pu connaître les enfants devant l’écroulement des références du cadre familial (Tarraf 2020). D’une Marseillaise moqueuse (Raskin 2007) à des moments surréalistes aux abords de la ligne verte (un soutien-gorge qui sert de laissez-passer), en passant par la découverte de la sexualité, le film recompose les souvenirs et l’espace de la jeunesse de ces années (Nagel 2002). Il fait la chronique douce-amère d’un temps de violence avec un regard à hauteur d’enfant, assez proche de celui de John Boorman dans La Guerre à sept ans (Boorman 1987), jouant comme lui sur les aspects fonctionnels d’une semi-autobiographie dans un environnement dysfonctionnel, où la famille a volé en éclats (Lavery 1990).
Cependant, cette liberté dans la guerre est vue de façon nettement moins positive par des films qui insistent sur le traumatisme qui se cache sous l’apparente insouciance de l’enfance. C’est notamment le cas dans le film d’autobiographie familiale réalisé par Philippe Aractingi, Héritages (Aractingi 2013), qui, à la suite de la guerre de 2006, revient sur son expérience propre d’enfance pris dans les combats. Le réalisateur cherche à former une chaîne de transmission avec ses enfants, d’abord en revenant au Liban après son exil, au risque de déstabiliser sa famille, puis en leur racontant son expérience d’enfant dans Beyrouth divisée (Bonnet 2013). Dans cette entreprise, on remarque d’une part l’absence relative de son propre père,[6] peu évoqué par le film, et d’autre part plusieurs scènes marquées par la gêne (celle des enfants et la sienne), alors qu’il leur montre ce qu’il qualifie de « jouets » de l’époque, à savoir sa collection d’enfance d’éclats de bombes et de balles. Le jeu sur lequel il revient, loin d’être caractérisé par l’insouciance, est un jeu traumatique (Stargardt 2006) qui permettait à l’enfant qu’il était d’apprivoiser la violence. Ce mouvement rejoint les jeux filmés par Maï Masri et Jean Chamoun durant le conflit, dans un contexte où l’aspect ludique, loin des troubles de la cellule familiale, permet à la fois d’intérioriser le conflit, et dans une certaine mesure de l’exorciser, au prix de lourdes traces dans le vécu ultérieur.
Au-delà des ambiguïtés de cette liberté, celle-ci apparaît surtout comme le résultat de la disparition, notamment traumatique, des références du cadre familial. En insistant sur l’autonomie de son héroïne dans Peur de rien (Arbid 2015), Danielle Arbid donne une suite à la liberté imposée de la petite fille des Champs de bataille. Si cette dernière était le témoin impuissant de la destruction de la cellule familiale, et envisageait une fuite vers la liberté avec la bonne de sa tante, la jeune fille de Peur de rien a quant à elle effectivement quitté le Liban et une cellule familiale mise en crise par l’impuissance du père et le repliement de la mère sur la sphère domestique, avant de s’enfuir de l’atmosphère viciée de sa famille en France. Les expériences que vit l’adolescente, la liberté qu’elle expérimente, sa maturation sentimentale et politique, sont néanmoins marquées par le chaos et l’instabilité, jusqu’à ce que, comme le héros de Zozo, elle trouve une famille de substitution à travers celle de son petit ami, qui lui permet de retrouver des repères. L’exil, comme dans la mémoire familiale de Philippe Aractingi, permet à la jeune génération de reprendre pied, et s’oppose sur ce point à l’exil intérieur dans les familles détruites par la guerre au Liban (Ackerman 2017, 241).
On retrouve chez les adultes nés durant la guerre, devenus les cinéastes des années 2000, une même réflexion sur la liberté qui cache une perte de repères. Dans le documentaire, la liberté acquise par la disparition traumatique est celle de De Gaulle Eid lorsqu’il met en scène Chou sar ? (Eid 2009), revenant sur le massacre subi par sa famille durant la guerre. Adulte, vivant en exil, il se présente à la fois comme plus libre que ses cousins pris dans les carcans des relations familiales au Liban, et en même temps profondément en manque d’ancrage, guetté par l’impuissance intellectuelle. Ce manque le rend porteur d’une mémoire traumatique et déstructurée (Nikro 2014), celle à laquelle Philippe Aractingi, son contemporain, tente de donner sens.
Dans la fiction, cette situation de liberté ambiguë est celle du héros de Asfouri (Alaywan 2012), lui aussi de retour d’exil, mais démuni dans sa lutte pour sauver l’immeuble familial, à la fois face à l’incapacité de ses parents à maintenir la paix entre les locataires, et face aux entrepreneurs en travaux publics issus de la guerre civile. Le film, construit sur la mémoire des pierres de l’immeuble comme incarnation de la mémoire familiale, cherche à interroger l’amnésie de la guerre civile précisément par ceux qui l’ont vécue, son effacement par ceux qui profitent de cette destruction du souvenir, et, en montrant la famille et la communauté des colocataires se décomposer en rancœurs et jalousies, la déstructuration du lien social à travers le prisme de l’intimité. En cela, son héros rejoint ceux que nous avions vus précédemment et vient boucler le cercle des problématiques familiales irrésolues nées de la guerre. Les jeunes adultes impuissants, sinon velléitaires, ceux de Falafel ou du Déjeuner, sont bien sûr les enfants de la guerre qui, à l’écran, sont toujours vus, en dépit de leur âge, comme des enfants, et qui en tant que tels restent dans une forme de minorité familiale, sociale et politique, qui ne leur permet pas de s’imposer. Ils ont grandi dans l’absence de repères et ont été témoins de l’éclatement des structures familiales et politiques du pays. Leur incapacité ou impossibilité à s’affirmer et à se reconstruire est le reflet de la crise de la masculinité, qui elle-même répond au repli sur l’espace de l’intime des figures féminines et à la destruction/déstructuration de l’espace public.
Conclusion
La façon dont la famille est représentée dans le cinéma libanais d’après-guerre apparaît donc marquée par plusieurs caractéristiques structurant son regard sur l’intimité. D’une part, cette production d’images est profondément liée aux films produits durant la guerre elle-même, qui posent les éléments pivots autour desquels ces images tournent : crise de la masculinité, repli sur la cellule familiale, ambiguïtés des libertés offertes par le conflit, et articulation profonde entre le microcosme de l’intimité familiale et la situation nationale.
D’autre part, cette articulation entre famille et nation, à la fois dans sa dimension symbolique et dans son exploration mémorielle, notamment autobiographique, est envisagée par les cinéastes au prisme des enjeux d’amnésie nationale et de disparition des espaces de débat public qu’ils entendent interroger et remettre en question. De façon frappante, un effet d’ensemble se dessine dans la manière de montrer la famille au cinéma, qui unit, notamment au travers du rapport autobiographique, le documentaire à la fiction : les traumatismes de la famille sont liés de façon circulaire, chacun entraînant les autres, et confèrent un schéma récurrent à ces films. De la sorte, une sorte d’ordre chaotique apparaît, la maison détruite l’étant selon les mêmes lignes et les mêmes logiques de film en film. Si la famille a pu apparaître comme un refuge face à la destruction de l’ordre social et des références communes pendant et après la guerre (Beydoun 1993,43, 205), les cinéastes font de ce refuge le miroir de l’intimité de la destruction : un État et un ordre social devenus impotents et dont la déstructuration se ressent au plus profond des maisonnées. Le biopouvoir, marque d’une modernité (Genel 2004) dont le Liban d’avant-guerre se voyait comme l’incarnation moyen-orientale, s’est corrompu et sa déliquescence devient la marque la plus intime des traumatismes de la guerre.
Au-delà de son ancrage dans le cinéma de la guerre, l’articulation que font les cinéastes libanais de la génération 2000 entre la famille, la nation, la guerre et la mémoire peut se lire comme répondant à la problématique du traumatisme et de « l’image manquante » de la guerre, au cœur du projet artistique Wonder Beirut de Joana Hadjithomas et Khalil Joreige (Noirot 2016). Ceci permet de réinterpréter la question de la famille à l’écran sous l’angle de la médiation de la parole sur le conflit et sur sa mémoire, à la façon dont a été analysé le travail de Rithy Panh sur le génocide cambodgien, et sur son articulation entre mémoire intime, familiale, et nationale (Panh 2001 ; Torchin 2014). Si le conflit n’apparaît presque que sous la forme des « petites guerres », c’est aussi que son image est celle de la famille détruite, un choix d’image lié à l’intimité du conflit, et à une forme d’irreprésentabilité, sinon au travers de symboles (Haugbolle, 5, 161). Lorsqu’au Cambodge les images physiques manquent, au Liban, ce sont des images communes qui n’existent pas, les mémoires personnelles et communautaires, bien que proches, restant séparées, pour former une collection d’images juxtaposées, et d’individus isolés.
Au travers de leurs images de famille, ces cinéastes cherchent à définir ce qui ferait mémoire collective au Liban, en reliant, à travers les symboles et le récit autobiographique, leurs souvenirs individuels à une mémoire collective, dans un mouvement d’élargissement qui reprend les étapes de la mémoire halbwachsienne (Halbwachs 1997, 51, 97). Ces images se reconstruisent par rapport aux enjeux du présent, notamment en mimant, à travers les cassures des familles faussement stables qu’ils décrivent, à la fois la reconstruction en trompe-l’œil du pays, et sa fragmentation communautaire et mémorielle, qui peinent à dissimuler les traumatismes de la guerre. Comme le souligne Vatche Boulghourjian, réalisateur de Tramontane (Boulghourjian 2016),[7] qui rejoint ici les débats sur la littérature d’après-guerre (Nikro 2012, 20), la question de la mémoire collective, et de son rapport aux mémoires individuelles reste, des décennies après la guerre, au centre de la vie libanaise et de son expression artistique. Si l’idée du chaos intime et mémoriel est partagée par les cinéastes, ceux-ci restent en recherche de ce qui permettra un partage du souvenir.
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[1] Cette partie du film fait allusion à la présence des soldats israéliens à Beyrouth, qui suit l’invasion de 1982 jusqu’en 2000 (dans le sud du pays) et à la présence des troupes syriennes, intervenues au Liban sous prétexte de rétablir la paix à partir de 1976 et restées dans le pays jusqu’en 2005.
[2] « Maisonnée » ici correspond à l’ensemble des participants au déjeuner éponyme. Il s’agit des aînés, autour de qui sont rassemblés les cadets, les enfants adultes, et les enfants de ceux-ci. La distance par rapport à la maison des parents dépend de la situation financière, matrimoniale et du lieu de résidence des différents protagonistes.
[3]Voir ici son usage dans la presse au Liban et en France : « Cette jeunesse qui dit non au Liban de papa » L’Orient-Le Jour 09/11/2019 dernière consultation 08/06/2021 https://www.lorientlejour.com/article/1194442/cette-jeunesse-qui-dit-non-au-liban-de-papa.html et « D’abord un regard serein sur le “Liban de Papa” » Le Monde 05/03/1984 dernière consultation 08/06/2021 https://www.lemonde.fr/archives/article/1984/03/05/d-abord-un-regard-serein-sur-le-liban-de-papa_3015370_1819218.html
[4]La série présente des femmes militant pour le Hezbollah, mais plus dans des rôles de victimes et de soutiens des guérilléros que dans des rôles à proprement parler militaires.
[5]Présentation du film sur le site de son éditeur francophone « Chaque jour est une fête » https://www.trigon-film.org/fr/movies/Chaque_jour dernière consultation 08/06/2021
[6]À contrario, sa mère, présentée comme le pilier de la famille au Liban, est bien présente, dans un schéma qui reprend la distribution des rôles familiaux instituée par la guerre que nous avons vue plus haut.
[7]« La “Tramontane” du Libanais Vatche Boulghourjian emporte le Festival du film de Namur » L’Orient-Le Jour, 24/10/2016 https://www.lorientlejour.com/article/1014360/la-tramontane-du-libanais-vatche-boulghourjian-emporte-le-festival-du-film-de-namur.html
Thomas Richard est docteur en science politique de l’université Clermont-Auvergne. Son travail porte sur les identités et les problématiques culturelles au MoyenOrient, en particulier dans leur dimension conflictuelle. Sa thèse a été récompensée par le prix Michel de l’Hospital, et a été publiée aux éditions LGDJ-Lextenso, en collaboration avec les Presses de l’Université Clermont-Auvergne sous le titre Du musée au cinéma, narrations de guerre au MoyenOrient. Ses thèmes de recherche portent sur les mémoires de guerre, la question des représentations culturelles et des métissages, le politique porté à l’écran, et l’identité vue à travers les films. Ses recherches actuelles portent sur le rapport entre le terrorisme et l’image filmée, les images de la guerre civile syrienne et de la révolution égyptienne, et la mémoire de la colonisation. Chercheur associé au Centre Michel de l’Hospital de l’Université Clermont-Auvergne, il est également chargé de cours en science politique et études cinématographiques à Paris-1, Paris-8, et à l’ESPOL.