Plus que de l’aide, Le Liban a besoin d’un État social de droit.

Publishing Date: 
October, 2024
Dossier: 
Socio-Economic Rights Base, Conflict Analysis Project
Author(s): The Centre for Social Sciences Research and Action
Abstract: 

Note de position publiée à la veille de la “Conférence internationale de soutien à la population et à la souveraineté du Liban” qui se tiendra à Paris, le 24 octobre 2024.

Keywords: International Aid Community, Lebanon, War on Lebanon 2024

To cite this paper: The Centre for Social Sciences Research and Action,"Plus que de l’aide, Le Liban a besoin d’un État social de droit.", Civil Society Knowledge Centre, Lebanon Support, 2024-10-01 00:00:00. doi:

[ONLINE]: https://civilsociety-centre.org/ar/paper/plus-que-de-l’aide-le-liban-besoin-d’un-état-social-de-droit
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ألا تعتذرون؟ يسألنا العالم

لن تعطينا المغفرة. إن موتنا، وحده، هو الذي يأخذ شكل المغفرة. ونحن نعتذر.. نعتذر لأننا تأخرنا في الرحم، ولكن الولادة عسيرة في هذه الأيام، والجنود الغزاة يحاصرون مدخل الرحم. وأنت الشاهد المحايد أيها العالم

محمود درويش

 وداعاً أيتها الحرب وداعاً أيها السلام

- Vous ne vous excusez pas? nous demande le Monde

- Tu ne nous accorderas pas de pardon. C’est notre mort seule qui prend la forme du pardon. Et nous nous excusons.. Nous nous excusons d'être en retard dans l'utérus, mais l'accouchement est difficile de nos jours et les soldats envahisseurs assiègent l'entrée de l'utérus. Et toi, tu es le témoin neutre, ô Monde.

       Mahmoud Darwich, Adieu, Guerre! Adieu, Paix!

La nouvelle guerre entre le Liban et Israël – difficile à dater, tant les bombardements s'intensifient  depuis plus de 12 mois – a pris un tournant destructeur depuis septembre 2024. Elle se transforme aujourd’hui en un massacre d’une ampleur inédite. La guerre n’est qu’à ses débuts, et pourtant le nombre de morts civils dépasse déjà le double de celui de la guerre de 2006. Les blessés se comptent par dizaines de milliers, et les déplacés en millions.

Dans ce contexte, il était prévisible que les donateurs et la communauté internationale, et plus particulièrement les pays dits « amis du Liban », se mobilisent pour venir en aide à un pays déjà accablé par une crise économique des plus sévères au monde depuis 2019. Les populations résidentes, libanaises ou non-libanaises, sont éprouvées dans leurs capacités à s’adapter ou à survivre face à des crises multiples qu’on n’arrive plus à compter. Aujourd’hui, les déplacés comptent pour plus de 20% de la population (plus de 1 million de déplacés, mais les chiffres augmentent tous les jours). L’aide internationale sera-t-elle à la hauteur des besoins ? Parallèlement, que fait le gouvernement libanais pour contenir cette crise ?

Les promesses d’aides en provenance de la communauté internationale semblent être aujourd’hui le souci principal de l’État libanais. Étrange situation où le gouvernement d’un pays en guerre voit son rôle se réduire à celui d’une campagne de levée de fonds.

Du côté des donateurs, les initiatives ne se font pas attendre. Le gouvernement du Canada a déjà mobilisé une aide de 15 millions de dollars[1], les Nations Unies augmente la levée des fonds en tablant sur une aide dépassant au total le 1 milliard de dollars avant la fin de 2024[2], l’Union Européenne, deuxième donateur au Liban a décidé une augmentation de 10 millions, puis de 30 millions d’euros supplémentaires, pour atteindre une enveloppe globale dépassant les 100 millions d’euros pour 2024[3]. Les Français ont livré une première aide avec les Qataris de quelque 27 tonnes de médicaments et d’équipement médical[4]. Il est difficile ici de recenser toutes les aides, les Saoudiens, les Emiratis et les Qataris acheminant régulièrement de leurs côtés des aides difficiles à estimer. Enfin, une conférence internationale interministérielle pour le Liban se tiendra le 24 octobre 2024 à Paris[5], à l’initiative du Président français[6]. S’il est encore tôt pour faire un pronostic sur l’issue de cette nouvelle conférence, nous sommes néanmoins en droit de nous interroger sur ses modes opératoires, et sur les risques qu’elle pose sur les mécanismes locaux de la gouvernance et de la gestion des crises.

Désormais, se profile à l’horizon un déploiement d’urgence d’une aide internationale de grande ampleur au Liban, qui dépasse déjà ce qu’on a pu mobiliser pour les victimes et rescapés palestiniens. C’est à se demander combien comptent les vies libanaises, comparées à celles des Palestiniens, et combien valent les deux « sur la bourse du sang oriental », pour emprunter encore une formule de Mahmoud Darwich. Face à une guerre qui implique déjà un grand nombre de pays dans la région (le Yémen, l'Irak, l’Iran, la Syrie sont déjà des parties prenantes), et qui risque à tout moment de dégénérer en un conflit régional à grande échelle, comment sera déployée cette aide internationale, selon quelles priorités, et dans quelles visées ?

Pour le Liban, les aides internationales ont joué dans le passé un double rôle : elles interviennent dans les moments de crises aiguës pour soutenir une économie en faillite ; elles contribuent directement ou indirectement à la légitimation d’une élite politique qui a conduit le système à son effondrement. Ces aides sont donc à la fois la condition de survie du système économico-politique en vigueur, et la principale source de financement pour la société civile qui, quel que soit son dynamisme et la force de ses réseaux de solidarité, ne pourra (et ne devra) jamais se substituer à l’État, notamment dans ses prérogatives de gestion ou des préventions des crises, et a fortiori, des guerres.

Aujourd’hui, la société civile est livrée à elle-même, et le paysage des multiples levées de fonds par la diaspora cache, qu’on le veuille ou pas, le manque d’investissement des élites locales dans les efforts d’urgence, de secours ou de soulagement des souffrances des victimes de guerre. Paysage devenu désespérant pour celui qui observe ses répétitions, quand les dirigeants, tous milliardaires, se réunissent pour déplorer le manque de moyens de l’État qu’ils ont eux-mêmes pillé, et pour en appeler à la générosité de la communauté internationale et implorer les mobilisations des initiatives privées[7].

Aujourd’hui encore, les populations sinistrées, libanaises et non-libanaises, ne peuvent compter que sur deux filets de sauvetage. D’une part, la générosité des bailleurs de fonds internationaux, dont les motivations apparaissent de plus en plus suspectes aux yeux du plus grand nombre dans la mesure où ces mêmes États au pire soutiennent directement l’agresseur israélien en lui fournissant les armes même qui blessent, mutilent, démembrent, brûlent, et éradiquent un peuple, au mieux de par leur silence contribuent à légitimer un massacre qui n’épargne plus un seul pays de la région.

D’autre part, les réseaux de solidarités informelles, qui nourrissent directement les identités “meurtrières”[8] confessionnelles, muselant les espoirs d’un État séculaire et civil pour tous, et sapant de ce fait  l’accès aux droits.

Ce qu’on déplore donc avant tout, c’est l’absence de toute mesure de protection fondée sur le droit.

Il est remarquable par exemple que la première mesure de politique économique du gouvernement actuel en temps de guerre a été la hausse du prix du pain, une énième augmentation (on en comptait 15 par exemple dans la seule année 2021) qui intervient dans le sillage d’un énième plan de financement (par dette) via la Banque mondiale.

Avec une pauvreté qui touchait les trois quarts de la population avant la guerre[9], et dans un contexte de faillite de l’État, et d’effondrement des administrations publiques, le Liban a pu dans les derniers 12 mois réaliser au moins un progrès notable vers la réaffirmation (de principe) de l’importance de l’universalité de la protection sociale. D’une part, le parlement a voté une loi de décembre 2023 sur les systèmes de retraite pour les travailleurs du secteur privé et, d’autre part, le gouvernement a adopté une stratégie nationale pour la protection sociale. C’est un momentum à saisir. Pour que ces réformes ne restent pas lettres mortes, il est important aujourd’hui que la société civile, les acteurs publics et la communauté internationale agissent de concert pour renforcer cette vision de l’État social qui assoit ses protections sur des systèmes de prévoyance et sur des droits sociaux fondés sur des principes universalistes.

C’est principalement dans ce sens qu’il serait nécessaire d’acheminer l’aide humanitaire et les initiatives de solidarité de la communauté internationale, et non pas dans un sens qui minerait ce qui reste d’universalité dans un système de protection déjà en faillite, et d’un État déliquescent qu’il urge aux Libanais seuls de bâtir.

L’écocide du Sud Liban, l’urbicide de la banlieue Sud de Beyrouth, la dévastation de vastes zones de la Bekaa, la destruction systémique du secteur de l'agriculture, de l'éducation, de l'infrastructure et des conditions même de vie pour des milliers de Libanais ne constituent pas uniquement un sillage macabre de la guerre israélienne au Liban, mais également une facture exorbitante qu’il reviendra à l’État libanais de payer.

Toutefois et malheureusement, la guerre actuelle laisse aussi un autre présage. Le secteur de la santé au Liban, bien qu’il soit majoritairement privé, s’adapte tant bien que mal au contexte de la médecine de guerre. Il l’a montré dans le passé, et le montre aussi bien aujourd’hui. Mais sa résilience est une affaire d’État qui ne doit pas dépendre des logiques d’NGOisation, et le ministère de la santé publique ne peut pas rester une super-ONG. Réinvestir les acteurs publics dans la santé et le bien-être social était déjà une affaire pressante en temps de crise, et devient une urgence vitale en temps de guerre, au moment où les travailleurs dans le secteur de la santé (dont beaucoup sont des volontaires, des travailleurs non payés) sont pris pour cibles par les attaques israéliennes, quand les hôpitaux ou les ambulances sont ouvertement menacés et visés, et que le nombre de personnes handicapées ne cesse d’augmenter.

Ce pronostic ne se veut pas pessimiste.

Au moment où le cessez-le-feu et l’aide aux victimes sont certes prioritaires, la construction d’un État “social” de droit semble devenir une nécessité vitale pour désamorcer les risques de crises et de conflits, actuels et futurs, et espérer sortir le Liban du cercle vicieux des crises et guerres perpétuelles. Les corps mutilés d’hier et de demain, à l’image d’une société sinistrée dans son ensemble, ne payent-ils pas d’ores et déjà le prix du retard dans la construction d’un État social au Liban?

 

[6] Historiquement, les réunions du Groupe de Soutien International au Liban sont convoquées par l’Élysée, à l’instar des multiples conférences internationales (Paris, 1, 2, 3). La dernière en date, la Conférence CEDRE d’avril 2018, dite Paris 4, avait promis des aides conditionnelles de 11 milliards de dollars, qui n’ont jamais été accordées, car conditionnées par des réformes qui n’ont jamais vu le jour.

[7] Déjà le 7 août 2020, à peine 3 jours après l’explosion du port, le Président de la république de l’époque (dernier en date, vu l’incapacité à élire un nouveau) Michel Aoun consolait la nation en se félicitant du retour des aides internationales post-explosion, ce qui annonçaient selon lui la fin de l’embargo financier sur l’État libanais. https://www.lorientlejour.com/article/1228706/aoun-sempresse-de-detricot...

[8] Pour emprunter l’expression à Amine Maalouf. Amine Maalouf, Les identités meurtrières, Paris, Grasset, 1998.

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The Centre for Social Sciences Research and Action:

The Centre for Social Sciences Research and Action, first founded in Lebanon in 2006 under the name of Lebanon Support, is a multidisciplinary space creating synergies and bridging between the scientific, practitioner, and policy spheres. The Centre for Social Sciences Research and Action aims to foster social change through innovative uses of social science, digital technologies, and publication and exchange of knowledge.