Dans un monde morcelé, porter les reliques de la continuité. Recompositions familiales autour des femmes yéménites en exil à Djibouti

Publishing Date: 
December, 2023
Dossier: 
Gender Equity Network, Conflict Analysis Project
Author(s): Morgann Barbara Pernot
Abstract: 

À partir du cas des femmes yéménites exilées à Djibouti, cette contribution propose une étude socio-anthropologique des recompositions familiales en temps de guerre et en contexte de migration. Celles-ci s’articulent souvent autour des femmes qui, dans leurs différents rôles (filles, sœurs, épouses, belles-filles, mères, co-mères), sont chargées de la continuité identitaire et générationnelle du groupe, dans un contexte de morcellement de l’espace et du temps. Elles portent les reliques de cette continuité quasi fossile sur leurs visages, dans leurs corps, notamment lorsqu’elles (re)produisent les générations (en arabe, une femme enceinte est hāmil, porteuse), ainsi que dans ce qu’elles transmettent, tout en se montrant créatrices de nouvelles pratiques sociales et familiales. 

Keywords: women, Families, Migration, Yemen, Djibouti, Gender, Gender Roles, War

To cite this paper: Morgann Barbara Pernot ,"Dans un monde morcelé, porter les reliques de la continuité. Recompositions familiales autour des femmes yéménites en exil à Djibouti", Civil Society Knowledge Centre, Lebanon Support, 2023-12-01 00:00:00. doi:

[ONLINE]: https://civilsociety-centre.org/node/75928
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Ashwaq, 12, at the Markaze refugee camp in Obock, northern Djibouti. Photograph: Mosa'ab Elshamy/AP

Introduction 

Au XXe siècle, la colonisation française de Djibouti attira des migrants yéménites, notamment des commerçants de la Huǧarīyaẗ (région au sud de Tai’zz). Parmi eux, certains s’installent définitivement tandis que d’autres enchaînent les allers-retours. Ainsi, ils naissaient, se mariaient et mouraient au Yémen et, dans l’entre-deux, se succédaient dans les quartiers commerçants de la capitale djiboutienne, où ils vendaient et vendent encore, le plus souvent au détail, toutes sortes de produits (alimentaires, de prêt-à-porter, cosmétiques, de quincaillerie, etc.). Les migrations commerçantes étaient principalement masculines, l’émigration des femmes étant alors considérée comme honteuse. La faible mobilité des femmes encourage la préservation du lien entre les émigrés et le Yémen, qui est économiquement dépendant de sa diaspora.

La guerre, qui fait rage dans ce pays depuis 2014,[1] est venue bouleverser ce schéma migratoire pourtant rodé, provoquant la migration des femmes à Djibouti et dissipant l’illusion de la nature provisoire des migrations de travail masculines, devenues exils familiaux (Sayad 1992). Dans le cas des Ta’izziens, historiquement majoritaires parmi les commerçants yéménites à Djibouti, les départs sont autant les produits de dynamiques familiales anciennes que du bouleversement engendré par la guerre. En effet, la plupart des familles rencontrées possédaient un lien antérieur avec Djibouti, où avait vécu un grand-père, un père, un oncle ou un frère. Cela peut en partie expliquer leur refus d’être qualifiés de réfugiés (lāj’iīn), terme qui renvoie à une dépendance dite honteuse. En dépit du rôle de la guerre dans leur projet migratoire, ils préfèrent donc se présenter comme des commerçants (tuǧǧār), dans la lignée de leurs aïeux. Les femmes sont davantage prisonnières de l’exil (ġurbaẗ), ne commerçant pas, et considèrent donc la guerre comme la principale cause de leur départ.

Les immigrés yéménites savent néanmoins s’emparer des catégories administratives telles que celles de travailleur étranger, de réfugié, voire de ressortissant      djiboutien, afin de bénéficier des avantages que présente  chacune d’entre elles. Le statut de travailleur étranger est relativement simple à obtenir, bien que payant et nécessitant un garant, le plus souvent le patron du commerce. Le statut de réfugié est quant à lui délivré par le HCR à tout Yéménite pouvant attester d’une arrivée sur le territoire djiboutien après 2015 et donne droit à des aides associatives. Enfin, la nationalité djiboutienne permet, notamment pour les commerçants, d’accéder à nombre de privilèges juridiques et économiques. De nombreuses  femmes bénéficient d’une carte de séjour au titre d’épouse de travailleur étranger ou de Djiboutien. D’autres possèdent le statut de réfugié, voire les deux. L’ensemble de ces statuts permet des circulations avec le Yémen, par voie aérienne lorsque l’aéroport d’Aden est ouvert et que les personnes ont les moyens de s’acquitter de billets parfois très chers, ou par voie maritime.

Force est donc de constater ici les limites de la catégorisation classique, déjà pointées au Moyen-Orient par les travaux de Mohammed Kamel Doraï (Doraï 2008). La distinction longtemps systématique entre migrations de travail et migrations forcées occulte en effet la diversité des expériences migratoires au sein de la famille, et en particulier celle des épouses de commerçants yéménites dont il est ici question. En émigrant, les femmes peuvent craindre que leur sortie du contrôle social yéménite, notamment sur leur sexualité, menace leur honneur et celui de leurs familles, d’autant que les mœurs sont, à juste titre, décrites comme plus libres à Djibouti qu’au Yémen. Stéphanie Latte-Abdallah l’éclaire ainsi : « le corps des femmes est un lieu où peuvent être mises en danger l’identité familiale, et, au-delà, celle de la communauté puis du groupe national» (Latte-Abdallah 2006). Seule l’ostentation de pratiques considérées comme authentiquement yéménites et témoignant de l’excellence morale des femmes, telles que celles de division sexuelle de l’espace et du temps (prohibition de la ẖalwaẗ, présence conjointe et isolée d’hommes et de femmes pouvant contracter un mariage, voilement du visage des femmes sous le liṯām/ẖunna‘), peut alors permettre la préservation de l’honneur ethnique (Barth 1969) d’un groupe qui, perdant sa terre, a déjà perdu un fondement de son identité.

Dans cet article, je propose ainsi de montrer comment les femmes sont alors chargées de préserver la continuité identitaire et générationnelle du groupe et de la famille, dans un contexte de violentes ruptures. Elles portent les reliques de cette continuité quasi fossile sur leurs visages, dans leur corps, notamment lorsqu’elles (re)produisent les générations (en arabe, une femme enceinte est hāmil, porteuse), ainsi que dans ce qu’elles transmettent.

Je décrirai tout d’abord le parcours migratoire de ces femmes, qui commence à la période cruciale de l’entrée dans la conjugalité après le mariage, puis dans la maternité. Puis j’analyserai en quoi le contexte de nucléarisation de la famille en migration peut représenter une échappatoire à la patrilocalité ou un renforcement de celle-ci, dans un face-à-face avec les belles-mères, gardiennes d’un ordre familial traditionnel. Je finirai par expliquer comment, afin d’élever des enfants yéménites loin du Yémen, de l’entraide féminine et de la famille élargie, ces femmes, originaires pour la plupart des mêmes villages de la Huǧarīyaẗ, construisent des espaces d’entre-soi et deviennent les membres d’un cercle familial recomposé au sein duquel elles tissent des relations de transmission et de co-maternité et redéfinissent leurs rôles d’épouses et de mères (Moro 2002).

Cette étude se fonde sur une ethnographie de près de six mois, menée entre 2019 et 2021 chez des familles de la communauté yéménite commerçante à Djibouti.[2] J’ai ainsi vécu chez une famille de la communauté yéménite commerçante à Djibouti et y ai réalisé un travail d’observation et de participation. J’ai également recueilli des récits de vie. J’ai enfin suivi la grossesse de la mère de famille, à distance, depuis l’annonce aux 8 mois, puis à ses côtés jusqu’à l’accouchement, et enfin 40 jours après, jusqu’aux relevailles. J’ai d’autre part enquêté auprès de plusieurs dizaines d’autres femmes mariées, la plupart mères ou aspirant à le devenir, certaines enceintes ou venant d’accoucher, amies, voisines ou rencontrées dans les lieux de sociabilité féminine de la communauté, et lors de fêtes de relevailles ou mariages. Ces femmes appartiennent à deux générations : celle des femmes qui ont grandi dans les villages (actuelles grand-mères et belles-mères) et celle de leurs filles et belles-filles, nées en ville (aujourd’hui jeunes mariées ou mères). J’ai également côtoyé des femmes et familles originaires d’autres régions du Yémen, ainsi que des Djiboutiennes arabes, originaires du Yémen et appartenant à la communauté d’Ambouli.[3] Enfin, plusieurs hommes de la famille qui m’a accueillie ont été interrogés.

1. Mariage, migration et désillusions : découvrir ensemble le rôle d’épouse et la vie à Djibouti

Le mariage et ses bouleversements, à l’heure de l’exode rural

Dans la vie d’une femme yéménite, nul jalon n’est plus attendu et redouté que le mariage. Véritable rite de passage, il fait entrer la jeune femme nubile dans l’âge adulte, celui de la conjugalité et, le plus souvent, de la maternité. La « fille de » devient avant tout « femme de »  et  « mère de ». L’institution du mariage n’a néanmoins pas été épargnée par les bouleversements qui agitent la société yéménite. L’exode rural, entamé dans les années 1970 ou 1980 selon les régions, s’est accompagné de profondes transformations des normes : les filles de première génération nées en ville ont bénéficié d’une éducation primaire, secondaire, voire pour certaines, supérieure, ce qui était inenvisageable pour leurs mères, la plupart n’ayant pas ou peu connu les bancs de l’école. Ainsi, ‘Ā’iša, qui doit aujourd’hui avoir entre 45 et 50 ans et a grandi au village, me confie que ni elle, ni ses sœurs, ni aucune femme de son hameau n’ont      été scolarisées. Sa sœur aînée a été mariée à ses 9 ans. Elle se souvient : Moi, je me suis mariée à 14 ans. Après… Je suis tombée enceinte directement, et Aḥmad est né. J’ai accouché d’Aḥmad et j ai eu 15 ans en même temps”.

Sa nièce, Iīmān, qui appartient à la génération suivante et a grandi à Aden, me raconte qu’après avoir obtenu son baccalauréat avec mention Très Bien, son père refuse d’emblée de l’inscrire à l’université. C’est en secret et avec l’aide d’’Ā’iša, sa tante et future belle-mère, qu’elle passa le concours d’entrée et fut reçue. Son père, mis devant le fait accompli, l’ épaule fièrement jusqu’à la fin de ses études et accepte d’attendre qu’elle soit diplômée en tant que professeure d’éducation islamique pour la marier. ‘Ināya, née à Al-Turbaẗ, me parle quant à elle de l’arrivée en ville de son père comme d’un grand bouleversement dans ses convictions éducatives. Alors que ses grandes sœurs, nées au village, n’ont pas été scolarisées, ‘Ināya, 8e de sa fratrie, reçut le soutien de son père, qui insista pour qu’elle étudie jusqu’à l’université et refusa pour elle tous les prétendants au mariage. Fāhima, enfin, est diplômée de la faculté d’Anglais. Son mariage aussi n’a eu lieu qu’après la fin de ses études, soit à ses 24 ans. On comprend ainsi que l’accès à l’éducation des filles et femmes a directement influé sur l’âge du mariage, qui a reculé de façon importante en une génération : la plupart des jeunes mariées rencontrées se sont mariées majeures et détentrices du baccalauréat. Par ailleurs, le mariage de filles mineures est aujourd’hui manifestement interdit et passible de poursuites. S’il persiste néanmoins, c’est donc officieusement. ‘Ā’iša explique :

 Se marier très jeune, comme moi, au Yémen, c’était normal. À 14 ans elles accouchent, ou même à 12. Ça, c’était avant. De nos jours, c’est fini. À 17 ans plutôt […] En fait, y’en a encore qui se marient jeunes, mais elles ne font pas le contrat de mariage (aqd al zawaj) chez le juge (qadi). Le gouvernement n’autorise plus ces mariages. C’est pour ça que les gens ont arrêté. […] Si quelqu’un marie sa fille mineure, il entre directement à la prison centrale! Le juge ne peut pas établir l’acte de mariage. Au Yémen, de nos jours, ceux qui veulent marier leurs filles alors qu’elles sont encore petites, ils ne vont pas faire d’acte au tribunal. 

Lors d’une soirée entre femmes vingtenaires et trentenaires, nous abordons le sujet du mariage. Fait rare parmi mes interlocutrices yéménites, H̱adīǧa, 23 ans, a été mariée à 15 ans par son père, juge coutumier (qāḍī). Elle était d’accord avec ce mariage, bien que n’ayant jamais rencontré son fiancé, ni même vu sa photo. « Kunt ǧahlaẗ » (« j’étais une enfant/une ignorante »). Elle déclare que le mariage n’était alors à ses yeux que l’occasion de revêtir une belle robe blanche, de se faire maquiller et teinter les mains et les pieds au henné. Sa petite sœur de 15 ans vient également de se marier. La guerre a eu pour conséquence d’inverser la tendance à la croissance de l’âge au mariage : l’accès à l’éducation s’est à nouveau restreint et l’union parait davantage une option rassurante, les prétendants bénéficiant souvent une situation économique stable, parfois meilleure que celle de la famille de la jeune femme. Le chômage a explosé : ceux qui ont les moyens de se marier (de payer la dot – très chère, bien que son prix ait diminué depuis le début de la crise – la cérémonie du mariage, le logement et de subvenir aux besoins familiaux) sont souvent ceux qui travaillent à l’étranger et, pour les habitants de la Huǧarīyaẗ, à Djibouti. H̱adīǧa raconte qu’elle a accepté la demande de son prétendant, espérant pouvoir partir avec lui en ville ou à l’étranger, et échapper ainsi à un mariage avec un fermier ou agriculteur et à une vie de labeur. Si son fiancé lui était inconnu, il était proche des hommes de sa famille, appartenant à la même tribu originaire de la région de Tai’zz. Il s’agit donc d’un mariage relativement endogame et traditionnel, bien que le mariage véritablement préférentiel unisse deux cousins, au mieux paternels, comme celui contracté par Hana’a, ou Iīmān. Le père de cette dernière disait préférer pour elle un mariage au sein de la famille pour deux raisons principales : que le mari ne soit pas, ni pour elle, ni pour lui, un inconnu, et qu’il ne l’emmène pas dans une autre ville ou un autre pays, la famille vivant à Tai’zz. Plus tard, le départ d’Aḥmad, époux d’Iīmān, puis de la famille pour Djibouti a créé de vives tensions, Iīmān prétendant qu’il était contraire à certaines clauses du contrat de mariage. Fāhima rit quant à elle de la naïveté de H̱adīǧa. Elle n’aurait jamais accepté un tel mariage. D’ailleurs, elle avoue nous avoir auparavant menti sur sa propre histoire, son époux n’étant pas, comme elle l’affirmait, le neveu d’une amie de sa tante (un proche, en somme), mais un jeune camarade de cours d’anglais, avec qui elle avait gardé contact via un groupe WhatsApp. Fāhima s’est donc mariée « par amour », et non « par tradition », ce qui est considéré comme honteux (‘aīb) au sein de la société yéménite. Le mariage d’amour jetterait en effet le doute sur la virginité de la mariée, capable de tout si elle se laisse guider par ses sentiments plutôt que par le code de l’honneur. 

Aussitôt mariées, aussitôt émigrées

Ce qu’ont en commun les histoires de H̱adīǧa, Hana’a et Fāhima, c’est le caractère brusque de la migration suivant le mariage. Ce n’est en effet que quelques jours seulement après les festivités qu’elles ont quitté le Yémen pour Djibouti, où commercent leurs époux. La rupture est totale : elles doivent apprendre un nouveau rôle, loin de leurs proches, mais aux côtés d’un inconnu, le tout sur une terre étrangère. À l’arrivée, le choc est rude. Beaucoup racontent être tombées malades, comme Iīmān, et avoir eu peur de sortir, jusqu’à leur adaptation progressive au sein de la communauté yéménite, par des connaissances originaires de leurs villages ou de villes proches, voire des femmes de leur famille. Sans belles-sœurs pour s’entraider ni belles-mères pour leur enseigner les rudiments de leur nouveau rôle d’épouse, elles sont seules face à des époux exigeants, qui attendent d’elles d’endosser un rôle d’épouse et de mère de substitution, la leur étant bien souvent restée au Yémen. Les hommes avouent volontiers prendre épouse pour être libérés des contraintes pratiques ou financières de la préparation des repas et du ménage de la maison qui leur incombent lorsqu’ils vivent, entre hommes, loin des femmes de leurs familles. Fāhima et H̱adīǧa se plaignent des demandes de leurs époux, qui n’hésitent pas à donner du travail supplémentaire à des femmes déjà surchargées par les tâches domestiques, rendues laborieuses par la rareté et la cherté de l’électroménager et des aides domestiques, mais surtout par la solitude des maîtresses de maison. Dans ce contexte, les espaces d’entre-soi féminin yéménite, lors des réunions de femmes à la maison, pour les célébrations (mariages, naissances…) et dans les parcs de jeux pour enfants fréquentés par les femmes de la communauté, constituent des espaces réconfortants, où la continuité sociale et culturelle vient pallier pour un temps les douloureuses ruptures causées par la migration. Une jeune mariée (‘arūsaẗ) et migrante comme Fāhima y trouve un lieu d’échange précieux. Les anciennes y partagent leurs connaissances, recommandent une boutique qui vend tel et tel produit yéménite jusqu’alors introuvable à Djibouti, et leurs astuces pour adoucir le quotidien, comme préparer, pétrir puis précuire du pain, qui pourra être réchauffé le matin pour le petit-déjeuner de l’époux, donnant à celui-ci l’illusion qu’il est du jour.

2. Devenir mères sans mères : en migration, patrilocalité et ruptures exacerbées

Du village à la ville yéménite : dépasser la patrilocalité, enfanter entre femmes, materner en famille

Les naissances au village telles que me les racontent les femmes qui y ont vécu ressemblent à celles décrites par Blandine Destremau dans Femmes du Yémen (Destremau 1990). L’accouchement se déroule à la maison, aux côtés de femmes souvent plus âgées et expérimentées, accoucheuses «par expérience » (muwwalidāt bilẖibraẗ).

Moi : Tu m’as dit que tu avais accouché au village…

‘Ā’iša : Oui, à la maison. Avec ma grande sœur Zaynab, et la mère d’Ali.

Moi : Pas avec ta mère?     

‘Ā’iša : Ma mère était là, mais elle avait peur…

Moi : Elle ne savait pas faire?     

‘Ā’iša : Non, elle ne savait pas. Certaines ont le savoir (ḥikmaẗ), d’autres, non.

À partir du troisième jour, les visites de proches, femmes de la famille ou voisines, commencent. Elles se succèderont quasi      quotidiennement, entre ‘aṣr et maġrib au nord du pays et entre maġrib et ‘iša au sud et à Djibouti. L’accouchée reçoit chez elle, couchée sur un lit dressé pour l’occasion. Sa belle-mère, ou la visiteuse la plus importante ou âgée, s’assoit sur le lit, à ses côtés. Les autres s’assoient au sol, sur des coussins. Les femmes de la maisonnée leur servent à boire, voire à manger. La jeune accouchée, elle, n’est idéalement      en charge d’aucune tâche domestique. Ses proches prennent soin d’elle, de sa maison, de ses enfants… Il est de coutume pour les visiteuses de lui offrir de l’argent, de la nourriture (pain frais ou beaux fruits, qui nourriront la jeune accouchée, son époux et ses enfants), ou des vêtements pour le nouveau-né.

‘Ā’iša : Au Yémen, quand Aḥmad est né, ma mère a fait égorger un taureau. […] J’ai accouché à 9 h. Ils ont déjeuné, invité tous les gens, ils ont mangé le taureau.

Moi : Mais toi, tu n’as pas mangé avec eux.

Ā’iša : Moi je voyais, mais je restais couchée à l’intérieur. Les gens sont restés plusieurs jours. Trois jours après la naissance, on a fait une grande fête avec les femmes. Plein de femmes sont venues, les Aẖdām[4] venaient avec des… «dakam, dakam» (son des tambours). Les gens dansaient, faisaient comme dans les mariages, aux trois jours. Ils mangeaient, venaient, restaient du matin au coucher du soleil (maġrib). Au troisième jour, la femme se lève à l’heure de la prière de l’aube (faǧr). Les femmes lui disent «allez, lève-toi, lève-toi, sinon, le lait va partir.» Tu dois te lever à 5 h… «le lait va partir…». Après, tu dois manger du foie (kibda). On met de l’huile sur le foie, et on l’entre dans le feu. Et tu manges!

Moi : De force? (Rires)

Ā’iša : Oui, de force! Quand tu accouches, on te donne un verre de lait chaud, un verre de miel, et un verre de margarine (samn) locaux (baladī). On te dit bois, bois. Tous les matins, on te met du miel sur un pain. Et à 9 ou 10 h, le foie, et après… Chaque heure on vient te faire manger! De force!

À 7 jours, les garçons sont circoncis. On organise, même pour une naissance de fille, une grande fête (sābi‘a) à laquelle sont conviés les voisins. Le 40e  jour (arba‘īn), la jeune mère effectue ses grandes ablutions. Elle fête ses relevailles avec les femmes de son entourage. À partir de ce jour, elle peut se lever et recommencer à travailler et à sortir, mais aussi à avoir des relations sexuelles. Ces 40 jours de repos sont permis par la cohabitation des femmes de la famille étendue, dans un contexte patrilocal, qui permettait la division du travail domestique et la mise en commun de certaines tâches, comme la préparation des repas ou le soin aux enfants.

Ā’iša : Avant, dans une seule maison, 6 ou 7 frères pouvaient vivre ensemble, dans une seule maison, deux ou trois pièces, 6 frères, 5 frères vivaient ensemble. […] Quand je vivais chez ma mère, nous étions… Combien? Mes 5 frères, ils vivaient dans la maison tous ensemble. Et leurs enfants, aussi! Et les enfants de mes sœurs, aussi, ils venaient tous! Ils mangeaient ensemble, ils rigolaient, ils étaient heureux… De nos jours… […] Nous, les filles, on ne restait pas à la maison. Chaque femme qui se marie s’en va. Mais ses enfants, après, ils reviennent. Moi je ne suis pas restée chez ma mère, juste un peu. Après mon mariage, je suis partie directement à Djibouti. Mais quand je revenais de Djibouti, je trouvais la maison remplie!

Les femmes des villages pouvaient ainsi concevoir, porter, mettre au monde et élever de nombreux enfants (près de 8 ou 9 enfants par femme, selon les sources statistiques, au début des années 1980 [Banque Mondiale 2022]), tout en travaillant au foyer et dans les champs, sans pour autant se servir d’un moyen de portage. L’exode rural, entamé à la fin des années 1970 (Stadnicki 2012), et le début de l’émigration de femmes avec lequel il coïncide      vont peu à peu mettre fin à ce système d’entraide familiale. La guerre et la crise sociale et économique qu’elle provoque ne font que renforcer une tendance à la nucléarisation déjà profonde depuis les années 1980. Il convient tout de même de mentionner que, depuis 2014, certaines familles ont choisi de retourner aux villages, afin de fuir les combats qui font rage en ville, renouant avec la vie rurale et familiale élargie.

De la ville à Djibouti : loin des mères et des sœurs, une maternité solitaire

Dans un système patrilocal, la séparation des femmes de leur famille après le mariage pourrait sembler statistiquement normale. Beaucoup de femmes nées au village racontent pourtant s’être mariées avec des proches ou des hommes du village, et y être ainsi restées. C’est finalement l’exode rural puis l’émigration des femmes aux côtés des hommes qui ont, en deux générations, bouleversé la structure des familles yéménites, conduisant à leur nucléarisation. Iīmān me raconte qu’elle n’a pas vu sa famille depuis 3 ans. Son mari lui interdit de les visiter, de peur qu’elle ne revienne plus à Djibouti ensuite. Huda n’est pas rentrée au Yémen depuis 6 ans, et ses parents n’ont jamais pu rencontrer leurs petits-enfants, ce qui la déprime. Ces deux femmes ont en commun d’avoir accouché de leurs aînés au Yémen. En ville, les femmes yéménites enceintes ont accès à des soins et, en particulier, à des soins prodigués par des femmes – paramètre décisif pour beaucoup d’entre elles, lorsqu’il s’agit de choisir de faire suivre ou non leur grossesse. Les femmes trentenaires nées en ville racontent toutes avoir accouché à la maternité ou, plus rarement, à la maison, mais assistées par une sage-femme professionnelle. Beaucoup redoutent d’accoucher à Djibouti : les récits laissent entrevoir une grande défiance à l’égard du système de santé publique      djiboutien, considéré comme peu fiable et pour lequel il n’existe pas d’alternative privée satisfaisante (« Ici, riches ou pauvres, nous sommes traités de la même façon ! »), défiance nourrie par la barrière de la langue (la langue d’usage officielle dans les hôpitaux djiboutiens est le français, celle de fait, le somali, peu de praticiens parlent couramment l’arabe). De nombreuses histoires circulent autour des deux principales maternités djiboutiennes (Dar Al Hanane et Al Rahma) : elles seraient bondées, on doit parfois y accoucher sur une chaise, quand ce n’est pas sur le sol (comme raconté par d’Iīmān), les salles d’accouchement sont collectives (les parturientes sont seulement séparées par des rideaux) et, pour gagner du temps, les sages-femmes useraient quasi systématiquement de pratiques invasives telles que l’épisiotomie (expérimentée par Zaynab). Par ailleurs, la grande souplesse de normes de ségrégation de sexe dérange profondément les femmes yéménites. Elles limitent donc autant que possible le temps passé entre les murs de la maternité, que ce soit pour le suivi de grossesse, ou même pour l’accouchement. Ainsi, Iīmān a signé une décharge pour rentrer chez elle juste après son accouchement, alors que la durée minimum du séjour est de 24 heures.

Mais c’est la solitude durant les périodes de fin de grossesse et de suites de couches qui effraie le plus les femmes. Lorsqu’elles le peuvent, elles préfèrent rentrer au Yémen pour accoucher entourées de leur famille, comme l’a fait Iīmān pour sa seconde grossesse. La guerre a néanmoins renforcé l’herméticité des frontières yéméno-djiboutiennes, et la situation politique, économique, sociale et sanitaire du Yémen ainsi que le prix élevé des billets d’avion (lorsque l’aéroport d’Aden, le seul du pays, est ouvert), conduisent de plus en plus de femmes à rester à Djibouti. Ce fut le cas d’Iīmān, durant sa dernière grossesse, mais aussi de son amie Naǧla, jeune femme yéménite vivant à Djibouti et enceinte de son second enfant, qui soupire : « J’ai juste envie de sauter dans un vol vers le Yémen pour y accoucher ». La douleur de la solitude est encore plus vive pour les primipares, qui doivent véritablement apprendre à devenir mère sans le soutien de leurs mères, grand-mères, tantes, sœurs ou cousines qui leur transmettraient leur savoir et les épauleraient dans le post-partum (Moro 2002). À la suite du récit de son premier accouchement et des 40 jours de repos qui ont suivi, ‘Ā’iša me confie :

‘Ā’iša : Mais à Djibouti c’est plus comme ça… Même au Yémen, en fait, c’est fini, ils ne font presque plus comme avant. Avant, au Yémen, quand tu accouchais? Yeeeh! Pendant 40 jours, on ne sortait pas! On te tenait! À Djibouti, maintenant, mais comme au Yémen, y’a des gens, ils te retiennent à la maison, d’autres, ils te laissent.

Moi : À la maison?

‘Ā’iša : À la maison. Tu restes 40 jours, tu ne travailles pas, tu manges bien… J’ai fait pour Aḥmad. Pour Bachir, je n’ai rien fait du tout. Je suis restée un peu, 8  jours, mais après je n’avais personne, je devais sortir.

[…     ]

Moi : Et Iīmān [sa belle-fille], elle se reposera 40 jours?

‘Ā’iša : Elle restera à la maison, mais pour travailler! Regarde, elle se lève tous les matins, elle doit tout faire. Moi, quand je veux laver ou habiller Marīam, elle me dit «Non, c’est Maman qui fait!». Et Amīr aussi. Il ne comprend pas. Même si maintenant, il veut bien que je l’emmène à l’école.

Hana’a, une trentaine d’années après, tient le même discours : elle a dû affronter seule sa première grossesse, son premier accouchement, et le retour à la maison après une césarienne. Mayara est exactement dans la même situation. Elles ont bien essayé de recruter une aide domestique, tout comme Iīmān et H̱adīǧa. Mais les toutes jeunes filles éthiopiennes n’ont pas le savoir-faire des mères et des proches restées au Yémen : elles ne savent souvent ni cuisiner les plats traditionnels yéménites ni faire de pain, et la plupart ne parlent pas arabe. Les applications d’appels en visioconférence (WhatsApp, Messenger, IMO) permettent tout de même d’établir un « pont par-dessus la porte » (Dufoix 2010) (expression heureuse, le bras de mer séparant Djibouti du Yémen étant dénommé Bab El-Mandeb, la Porte des lamentations). Iīmān, durant sa grossesse, discutait quotidiennement avec ses deux sœurs : l’une en Arabie-Saoudite, l’autre au Yémen. Depuis Djibouti, elle n’est cependant pas parvenue à maintenir le lien avec sa grand-mère paternelle, qui vit au village dépourvu de réseau. Une voisine, revenue du village, se plaint en effet : « quand on veut appeler à Djibouti, on court de fenêtre en fenêtre, de toit en toit, de colline en colline, et on finit par abandonner ». La grand-mère d’Iīmān raconte à qui veut l’entendre que sa petite-fille l’a oubliée, mais on comprend aussi que les limites de la technologie ont la part belle dans cette rupture familiale. Iīmān a tout de même eu la chance d’être rejointe par sa mère et sa sœur un mois avant son accouchement. Elles sont ensuite restées deux semaines post-partum, lui permettant de se reposer en réalisant les tâches domestiques quotidiennes et l’assistant lors des réceptions. En effet, il convient de servir aux convives, qui viennent de leur propre initiative sans toujours prévenir, thé, jus de fruits, et amuse-bouche, si possible faits maison. ‘Ā’iša s’en plaint : « Au village, les femmes venaient aider, apportant de quoi manger à la jeune accouchée et à ses proches. De nos jours, elles viennent juste pour manger, et repartent sans aider à nettoyer ». Le fait que l’heure des réceptions soit plus tardive à Djibouti contraint également les hôtesses à inviter leurs convives les plus tardives à dîner, ce qui représente un surplus de travail non négligeable pour des femmes seules.

Une véritable rupture générationnelle s’est opérée à la suite de l’exode rural et de l’accélération des migrations, entre les femmes nées et élevées au village et celles nées en ville. La transition démographique est manifeste sur deux générations : les mères d’Iīmān, H̱adīǧa, ‘Ināya ont respectivement eu 7, 14 et 13 enfants. Laṭīfa a également eu 14 enfants et Intiṣār, 10. Iīmān et H̱adīǧa en ont 3, ‘Ināya a des difficultés à tomber enceinte en raison de la maladie de son mari, Hadīl, la belle-fille de Laṭīfa, en a 2, et Ibtisām, la fille d’Intiṣār n’en a qu’un. Qu’est-ce qui explique cette véritable rupture des taux de fécondité ? Les femmes de la seconde génération m’expriment le désir d’avoir une vie différente de celle de leur mère, avec moins d’enfants. Tandis qu’     Hana’a ne se dit pas prête à une nouvelle grossesse, H̱adīǧa me confie avoir décidé de se faire ligaturer les trompes après une quatrième et dernière grossesse. Iīmān dit aussi ne pas vouloir plus de 4 enfants. Cet idéal de 3 ou 4 enfants, qui semble partagé, correspond à la réalité statistique de 3,7      enfants par femme en 2018 (Banque Mondiale 2022). Elles rient des femmes de leur génération qui enchaînent les grossesses, et « ne savent même plus combien elles en ont ! ». Pour planifier leurs grossesses, les femmes rencontrées utilisent dans leur grande majorité les moyens de contraception modernes que sont la pilule ou le stérilet, et la planification alimente beaucoup leurs discussions. Dans la génération de leurs mères, seules 7,5 % des femmes yéménites avaient accès à la contraception médicale (Courbage, 1995). Les autres utilisaient la méthode dite du calendrier, le retrait coïtal, l’allaitement long, ou acceptaient les grossesses successives. C’est moins le cas pour leurs filles, qui ont toutes été scolarisées, et aspirent pour certaines à trouver un emploi rémunéré. Elles se sont mariées plus tard, également. Mais on peut aussi lire dans la chute du nombre d’enfants par femme une conséquence de la nucléarisation de la famille, qui bouleverse l’ordre familial et contraint les femmes à élever leurs enfants seules, tout en effectuant au quotidien les lourdes tâches domestiques qui leur incombent. ‘Ā’iša, bien qu’appartenant à la génération des villages, n’a que deux fils. Je la questionne.

Moi : Mais alors, pourquoi n’as-tu pas eu plus d’enfants? Pourquoi n’en as-tu fait que deux?

Ā’iša : Quand on veut beaucoup d’enfants, il faut aussi beaucoup d’argent. Et Nabil ne voulait pas. Il ne voulait pas que nos enfants soient mal élevés [‘iāl al-sūq] [enfants du marché, des rues]. Il disait, je veux que mes enfants deviennent des gens bien, respectés… Pas 10 sans intérêt [bilā f ā’idaẗ].

Si elle mentionne le besoin d’argent, nécessaire au recrutement d’aides à domiciles ou à l’inscription des enfants à des écoles ou activités, c’est surtout parce qu’elle est seule à Djibouti et n’a pas de famille pour l’assister dans l’éducation de ses fils. Au Yémen, les enfants de ses frères et sœurs sont élevés par leurs mères, mais aussi par leur grand-mère et par Farīda, la sœur aînée d’’Ā’iša, divorcée. Les enfants d’’Ā’iša n’ont pas grandi près de leur famille, ils n’ont pas connu leur grand-mère maternelle et connaissent peu leurs cousins. ‘Ā’iša se plaint d’être seule aux côtés d’Iīmān, qui vient d’accoucher de son 3e enfant né vivant : « J’ai deux fois plus de travail, je suis fatiguée ». La solitude des femmes face à l’éducation de leur enfant a fait évoluer le rôle de la mère, désormais central. La construction de la figure maternelle en France a été étudiée par Elsa Dorlin, qui commente :

Théoriquement, désormais, un seul personnage est au centre de l’univers de la naissance, «la mère», laquelle occupe une fonction autrefois dévolue à plusieurs femmes différentes. […] Les modifications survenues dans la division du travail reproductif ont permis de redéfinir les traits physiopathologiques et psychologiques de la figure de la «mère», mais aussi son rôle et ses attributions, tout autant que la personne de l’enfant: il «est une cire molle qui retient toutes les impressions qu’on lui laisse prendre»; ou encore, «il est un abrégé d’elle-même». (Dorlin 2009)

Comme l’exprime Iīmān : « La mère est aujourd’hui considérée comme responsable de tout : quand mon fils ne veut pas manger, quand il ne veut pas dormir, quand il ne veut pas aller à l’école… Pour mon mari et ma belle-mère, c’est de ma faute ». L’éloignement de sa mère dû à la patrilocalité et la pression exercée par sa belle-famille dans un contexte de guerre et de migration peuvent expliquer les dépressions du post-partum dont a souffert Iīmān à la suite de ses accouchements. Elle a culpabilisé d’avoir perdu son premier fils, né grand prématuré, et d’avoir échoué à tisser le lien ou même à allaiter son second. Elle me confie avec douleur qu’à la naissance d’Amīr, elle ne pouvait supporter ses pleurs :« J’en arrivais à avoir envie de le frapper. Je me disais : au moins, il pleurera pour une bonne raison. » Sa détresse s’est mue en une résignation après qu’elle a compris que, malgré de brillantes études, elle devait renoncer à devenir enseignante : ses relations avec sa belle-mère ne sont pas au beau fixe, et elle n’a personne pour garder ses enfants. Il existe peu de modes de gardes à Djibouti, et il est de toute façon mal vu au sein de la communauté yéménite de confier ses enfants à des personnes étrangères à la famille au sens élargi. Pour préserver une forme de continuité identitaire yéménite, elles confient donc leurs enfants à leurs belles-mères, lorsque celles-ci vivent à Djibouti, ou bien à leurs pairs, qui jouent ainsi un rôle de co-mères au sein de la communauté.

3. Préserver la continuité dans un monde en rupture : redéfinition des rapports de pouvoirs et des modes de transmission intergénérationnels

Échapper aux belles-mères, gardiennes d’un ordre traditionnel

La migration a pu constituer pour certaines une échappatoire à la patrilocalité. Ainsi, H̱adīǧa avait- elle fait figurer dans son contrat de mariage une clause précisant que le couple ne s’installerait pas dans le village natif de l’époux. Des démarches complexes de falsification ont donc dû être entamées pour que, malgré sa minorité, la jeune mariée puisse finalement quitter le pays sans responsable légal. Pour Fāhima, le départ a lui aussi été synonyme de heurts, puisque sa belle-mère a tenté de l’en empêcher, prenant cette migration comme un refus des traditions, voire un affront.

Il arrive néanmoins que des femmes émigrent avec leur belle-famille, ce qui peut représenter une aide précieuse ou bien une source de conflit, comme pour Iīmān, qui n’a pas pu supporter de vivre chez ‘Ā’iša. La maison serait en effet trop petite, ne comportant que deux chambres pour 6 personnes, ‘Ā’iša se comporterait en « dictatrice », et prendrait la place de la mère auprès des enfants. Au bout de 3 ans de cohabitation orageuse, Iīmān a fini par convaincre son mari de louer l’appartement jouxtant la maison familiale, ce qu’il fait à contrecœur, arguant que le modèle de la famille élargie est traditionnel chez les Yéménites, et que c’est de l’argent perdu. 

Aux sources des conflits avec la belle-famille, un ordre familial patrilinéaire, assez similaire à celui étudié par Lila Abu-Lughod chez les familles bédouines d’Égypte (Abu-Lughod, 1986). Les grands-mères paternelles sont accusées d’inciter sans cesse leurs belles-filles à enfanter (« zīdī ḥabbaẗ! »), et de les considérer comme simples porteuses des enfants de la famille paternelle, plus ou moins capables en fonction de la rapidité et de l’issue des grossesses. Les femmes qui, comme ‘Ināya ou Mayara, rencontrent des difficultés à tomber enceintes sont culpabilisées, alors même que dans la majorité des cas, ce sont les hommes qui sont porteurs de pathologies. Iīmān reproche à ‘Ā’iša de lui prendre ses enfants « de force », et de passer outre son éducation. L’éducation «yéménite» que donne Iīmān à ses enfants, bien que fondée sur les mêmes principes que celle qu’elle a reçue par les femmes de la génération d’’Ā’iša, diffère assez largement : elle souhaite se défaire de pratiques dites traditionnelles qu’elle considère sans fondements, archaïques, voire dangereuses (en vrac : le bandage de la tête des nouveau-nés qui vise à aplatir leur front, la pose d’une pièce de monnaie sur le nombril pour en accélérer la cicatrisation, la couture de cauris sur les vêtements du nouveau-né, de pochettes remplies de graines de nigelles, ou autres rituels de protection contre le mauvais œil, le huilage quotidien des cheveux des filles…). Diplômée en éducation islamique, Iīmān a à cœur de transmettre à ses enfants son savoir dans le domaine religieux, les accompagnant quotidiennement dans l’apprentissage du Coran et de la tradition islamique. Elle mobilise quotidiennement sa légitimité dans le domaine religieux et ses compétences intellectuelles pour tenter de faire face aux injonctions prononcées par sa belle-mère, illettrée et n’ayant reçu qu’une éducation religieuse rudimentaire.

Les rapports de pouvoir ne se limitent toutefois pas à la relation belle-mère – belle-fille, et contaminent également les relations entre les grands-mères paternelles et maternelles, même lorsqu’elles sont sœurs, comme ‘Ā’iša et Zahra, la mère d’Iīmān. Cette première, qui vit à Djibouti aux côtés de ses petits-enfants, voit d’un mauvais œil les très rares séjours d’Iīmān chez sa mère, bien qu’elle n’ait pu s’y rendre depuis 4 ans. Iīmān est donc parvenue à convaincre sa mère de venir la soutenir à Djibouti pour l’arrivée de son 3e enfant. ‘Ā’iša semble craindre que sa sœur, bien qu’elle ne connaisse que très peu leurs petits-enfants, ne la supplante. Elle répète : « Ma sœur n’aime pas les enfants », « elle est seulement venue soutenir sa fille » et enfin « c’est moi qui irai à l’accouchement avec elle », ce qui fut effectivement le cas. ‘Ā’iša paraît reconnaître (partiellement) à sa sœur son rôle de mère tout en lui refusant celui de grand-mère. Si la relation de Zahra avec ses petits-enfants est distendue, c’est certainement plus en raison des kilomètres qui les séparent que ses sentiments à leur égard. Cette dernière semble toutefois accepter cette situation somme toute socialement normale.

‘Ā’iša, à Marīam, 4 ans : Pourquoi tu ne restes pas avec ta grand-mère Zahra? Tu préfères ta grand-mère ‘Ā’iša? Pourquoii? (Rires)

Moi : Parce que Zahra n’a pas de téléphone, pour jouer dessus     

‘Ā’iša : Non, non, ce n’est pas à cause de ça! Elle sait lire dans nos cœurs. Ce n’est pas à cause du téléphone, Morgann. Les enfants, ils comprennent.

‘Ā’iša reproduit finalement un ordre familial qu’elle a vécu, malgré la migration :

‘Ā’iša : Mes enfants n’ont pas connu ma mère, ils ne l’ont vue que deux fois.

Moi : Vous étiez à Djibouti…

Ā’iša : Aḥmad, elle l’a vu à son mariage. Et Bašīr, elle ne l’a vu qu’une fois, elle ne le connaît pas.

Moi : Elle vivait au village?

‘Ā’iša : Oui, et nous, au village, quand on se rendait au Yémen, on n’y allait pas. On allait juste à Tai’zz ou à Al-Hudaydaẗ, chez la famille de Nabīl [son mari]… 

Iīmān témoigne de sa situation familiale et échange avec celles de ses amies qui sont confrontées aux mêmes difficultés relationnelles avec leurs belles-mères. Toutes semblent s’accorder sur le fait que ces dernières jouent un rôle de gardiennes de l’ordre traditionnel et des normes, notamment patriarcales, qu’il implique. En migration, les normes qui enserrent le corps des femmes deviennent plus contraignantes, puisqu’il s’agit de préserver la pureté de l’identité yéménite du groupe, mise en péril. À en croire Malathi de Alwis, le corps des femmes demeure en effet le lien le plus solide à la nation et au territoire d’origine, se ceignant de frontières pour préserver son identité :

La femme réfugiée est présentée comme un code secret (“cipher”) pour tout ce qui a été (temporairement) perdu ainsi que pour ce qui doit être préservé pour le futur; la pureté du déplacement a été imbriquée dans sa pureté morale.(De Alwis 2004:222)

Les femmes, comme par métonymie, incarnent la terre d’origine, celle du village sur laquelle se fonde l’identité du groupe. Leur corps est à préserver dans sa pureté originelle, dans sa mythique authenticité. Si les femmes des premières générations affirment agir ainsi afin de préserver la continuité générationnelle, celles de la seconde génération se croient capables d’endosser leurs rôles d’épouses et de mères autrement. Iīmān finit par me donner un conseil : « Si tu résistes frontalement en permanence, tu finis par t’épuiser. Je l’ai fait, au début, mais c’est pire que tout. Aujourd’hui, j’ai lâché prise face à ma belle-mère et mon mari. Je dis oui, et je fais ce que je peux, ou ce que je veux, ensuite. »

Les co-mères, personnages centraux du monde endogamique des Yéménites de la Huǧarīyaẗ à Djibouti

Le conseil donné ci-dessus par Iīmān s’applique tout particulièrement aux sorties chez les amies, que son mari et ‘Ā’iša considèrent comme du temps perdu. Pour sortir sans braver le refus d’Aḥmad, lui faisant prendre le risque d’être selon elle « maudite par les anges », elle profite des absences de son mari pour s’habiller et habiller ses enfants en vitesse, puis dévaler les escaliers sans bruit, en prenant garde qu’’Ā’iša ne l’aperçoive pas de chez elle.

Les réseaux d’homosociabilité[5] sont une grande ressource pour les femmes rencontrées. Ils sont construits sur le modèle des réseaux de sociabilité villageois, bien que la plupart des leurs membres aient grandi en ville, à Al-Turbaẗ, Tai’zz, voire Aden, Ibb ou encore Sanaa dans de rares cas. Elles ont néanmoins en commun d’être majoritairement originaires des mêmes tribus de la Huǧarīyaẗ, en raison des logiques de migration en chaîne.[6] Ainsi, à la suite de son accouchement, Mayara a pu bénéficier de la chambre libérée par Iīmān, alors même que la maternité était bondée et que plusieurs dizaines de jeunes accouchées attendaient un lit. ‘Ā’iša est ensuite restée à ses côtés, se substituant à sa famille restée au Yémen. Les femmes sont ensuite nombreuses à visiter les primipares pour les conseiller sur l’allaitement, le sommeil, l’habillement… Chacune défendant sa méthode auprès de la jeune mère. Les voisines, et en particulier celles vivant le long de l’avenue 13, dans les quartiers traditionnellement habités par les membres de la communauté yéménite commerçante, s’entraident en se confiant mutuellement leurs enfants le temps d’aller faire une course. Elles aiment également faire le pain, cuisiner, en laissant leurs petits jouer ensemble, comme elles le feraient avec leurs belles-sœurs et cousines, au Yémen. Les femmes de la première génération, comme ‘Ā’iša ou Laṭīfa, comprennent mal ces nouvelles formes de sociabilités, qui transgressent à leurs yeux plusieurs des règles de bonne conduite qu’elles suivaient au Yémen, où lors de visites à des femmes extérieures à la famille, il convenait de venir sans enfants, et de ne pas s’attarder. La migration a depuis élargi et rendu poreuses les frontières du cercle familial, et les femmes, isolées, ne peuvent dorénavant plus compter sur leur famille proche pour garder les enfants lors de leurs sorties. Dans certains cas, le père profite de la nucléarisation de la famille pour jouer un rôle plus grand dans l’éducation de ses enfants : l’époux de H̱adīǧa, par exemple, n’hésite pas à garder ses aînés lorsqu’elle souhaite se rendre chez des amies. Les femmes de la communauté tendent également à s’entraider dans l’éducation de leurs enfants, contrant partiellement la redéfinition du rôle de mère au sein du nouveau système de division sexuelle du travail, celui de la famille nucléaire. Elles endossent un rôle de commère (ou co-mère, «mère avec» au sens de Marie-Rose Moro [Moro 2002]) qui se manifeste surtout dans la nature de la relation qui les lie aux enfants de leurs proches. Celle-ci n’est en effet pas de nature triangulaire (commère/co-mère – mère – enfant) et chaque femme est invitée à traiter directement et sans l’intermédiaire des mères avec l’ensemble des enfants. Ainsi, il n’est pas rare de voir une mère, témoin des bêtises de ses enfants, préférer laisser intervenir une autre femme, qu’elle soit son hôtesse ou non. J’ai moi-même plusieurs fois été invitée par les mères à punir voire à corriger physiquement leurs enfants qui ne m’écoutaient pas. Par ailleurs, les femmes n’hésitent pas à se confier mutuellement leurs enfants pour sortir ou aller faire des courses, souvent spontanément et sans s’être préalablement concertées.

Conclusion 

La guerre, au Yémen comme ailleurs, provoque ainsi de profondes recompositions familiales. La dispersion des familles, déjà initiée par les changements sociaux tels que l’exode rural, est aujourd’hui précipitée par la normalisation de l’émigration des femmes et des enfants. Face à la nucléarisation de la famille en exil, les femmes doivent désormais apprendre et endosser seules les exigeants rôles d’épouse puis de mère. Mais elles profitent également      de l’échappatoire à la patrilocalité et aux instances de transmission des normes dites traditionnelles qu’offre la migration pour ériger des normes différentes de celles portées par les femmes de la génération des villages.

Pour ce faire, elles puisent à la fois dans les répertoires dits traditionnels yéménites et modernes ou occidentaux, mais aussi dans un répertoire islamique, auquel leur éducation leur donne accès, s’inscrivant alors dans une modernité alternative. Comme les Égyptiennes rencontrées par Saba Mahmood, elles manifestent ainsi leur capacité d’agir en tant que femmes, épouses et mères sans contester frontalement les normes (Mahmood 2005). En créant des espaces d’entre-soi, espaces d’entraide, de co-maternité et de transmission, elles parviennent même, malgré les ruptures auxquelles elles sont confrontées, à faire perdurer une continuité générationnelle non figée, telle que conçue par Françoise Collin :

Longtemps la transmission par les femmes, et entre femmes, a semblé fonctionner sur le mode de la répétition plutôt que sur celui de la novation      : transmission de la vie, transmission de ce qui entoure et entretient la vie. […] Les femmes nétaient pas considérées comme des acteurs sociaux et culturels, mais plutôt comme les gardiennes dun monde quelles ne constituaient pas et quelles ne modifiaient pas. (Collin 1993)

 

Bibliographie

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[1]En 2014, le processus de transition politique du gouvernement d’Abderabuh Mansur Hadi, initié après la révolution de 2011 et au départ, après 35      ans au pouvoir, du président Ali Abdallah Saleh, a échoué. Les Houthis, groupe rebelle originaire du nord du pays, parviennent alors à prendre Sanaa, la capitale. Dans les mois qui suivent, ils sont rejoints par le président déchu, leur rival historique. En mars 2015, et sur la demande du président Hadi, exilé en Arabie Saoudite, une coalition d’États arabes sunnites, menée par l’Arabie Saoudite, lance une première opération militaire afin de combattre la menace que représente les Houthis, qui se revendiquent chiites et sont soutenus par l’Iran. Depuis, le Yémen est en guerre. Au nord, la coalition est parvenue à repousser jusqu’à Sanaa les forces rebelles qui avaient conquis en 2015 la plupart des grandes villes du pays, jusqu’à Aden, ancienne capitale du Sud-Yémen en passant par Hodeïda et Ta’izz. À Aden, des groupes séparatistes revendiquent désormais leur contrôle sur la ville et sa périphérie. Pour les civils, les conséquences de la guerre sont lourdes: la partie la plus peuplée du pays est assiégée, les combats au sol sont permanents et les zones sous le contrôle des rebelles ont été ravagées par les bombardements saoudiens. Les prix des biens de première nécessité et le chômage ont explosé, la plupart des infrastructures alimentaires et sanitaires sont en ruines, des millions de personnes se battent au quotidien pour avoir accès à de la nourriture, de l’eau potable et des soins.

[2] Ces recherches ont en partie été financées par le Centre français des études éthiopiennes, IFRE 23 - Corne de l’Afrique et soutenues par l’IRICA (Institut de Recherche Indépendant de la Corne de l’Afrique).

[3] Quartier situé en périphérie de Djibouti et historiquement habité par des immigrés yéménites originaires du littoral ouest (Tihāmaẗ), et plus particulièrement des villes portuaires de Al-Maẖā et Ḏubāb, venus travailler comme agriculteurs, marins ou ouvriers du bâtiment sous la colonisation.

[4] Membres d’un groupe social marginalisé en raison de leurs origines ethniques africaines et de leur ancienne condition d’esclave supposées, auxquels sont dévolues certaines tâches comme la circoncision des garçons, l’animation musicale des mariages et autres cérémonies…

[5] Sociabilité avec les pairs, ici femmes yéménites de la communauté commerçante originaire de la région de Ta’izz.

[6] MacDonald1964.

About the author(s):
Morgann Barbara Pernot :

Morgann Barbara Pernot est doctorante contractuelle en sociologie à l’Iris (EHESS), bénéficiant d’une allocation de l’Institut Convergences Migration. Elle étudie, sous la direction de Blandine Destremau (EHESS – Iris), les pratiques et représentations de la maternité qui, chez les femmes yéménites à Djibouti, cristallisent la volonté de continuité générationnelle et temporelle en contexte de rupture migratoire et spatiale. Elle est doctorante associée au CFEE, affiliée à l’IC Migration et, dans ce cadre, des projets CollabMigr et DivDroit_FaMi (IC Migrations), qui visent à la réalisation de travaux collaboratifs autour des enjeux de migration au sein des familles.