Jabal Mohsen : stratégies de privatisation et d’appropriation communautaire de l’espace public

Publishing Date: 
August, 2015
Dossier: 
Conflict Analysis Project
Author(s): Marie Kortam
Abstract: 

Cet article interroge les dynamiques d’appropriation et de construction sociale de l’espace public à Tripoli, deuxième ville du Liban et siège de violences armées communautaires. Il s’intéresse plus particulièrement à la construction de barrières spatiales entre les quartiers de Jabal Mohsen et de Bab el-Tebbaneh. Sur ce territoire, l’espace public a perdu sa fonction d'intégration et d’encadrement de la violence publique, et les conflits armés ont pris la place des conflits politiques. Nous verrons comment, en tentant de récupérer cet espace, certains acteurs majoritaires ont imposé des barrières et des frontières visibles et invisibles dans l’espace public.

Keywords: Public Space, Tripoli, Bab al-Tebbaneh, Borders, Privatisation, Armed conflict

To cite this paper: Marie Kortam,"Jabal Mohsen : stratégies de privatisation et d’appropriation communautaire de l’espace public ", Civil Society Knowledge Centre, Lebanon Support, 2015-08-01 00:00:00. doi: 10.28943/CSKC.001.30007

[ONLINE]: https://civilsociety-centre.org/paper/jabal-mohsen-stratégies-de-privatisation-et-d’appropriation-communautaire-de-l’espace-public
Cited by: 1
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Tripoli et les divisions des quartiers sur les deux rives du fleuve. (Copyright 2012, Municipality of Tripoli - source: tripoli-city.org)

Avec la division de la Grande Syrie et la création de l’État libanais, Tripoli est devenue une ville orpheline coupée de son cordon vital, les villes côtières syriennes. Cette division a affaibli la position et le rôle de la deuxième ville du pays dans la nouvelle République. L’insatisfaction face au système confessionnel libanais, les tensions politiques régionales et les inégalités dans la distribution de la richesse ont transformé la ville de Tripoli en une « ville rebelle ». Cette désobéissance face à la répression et l’ostracisme du pouvoir dominant a donné au régime le prétexte de marginaliser la ville, qui jusqu’à aujourd’hui représente le taux de pauvreté le plus haut du pays, soit 52%. 






 

Consommation par tête (en milliers de LL) 1

Pauvreté (en % de la population totale)2

Besoins de bases non satisfaits (1995) (en % de la population totale)3

 

Besoins de base non satisfait (2004) (en % de la population totale)

Nord

2523

52.6

42.8%

31.2%

Liban

3975

28.6

30.9%

24.6%

Beyrouth

6514

5.9

15.9%

9.3%

Tripoli

N/A

55

N/A

N/A

Tableau 1: Principaux indicateurs de pauvreté

Dès lors, Tripoli est le théâtre d’évènements douloureux et violents. Depuis 1975, Tripoli est le lieu d’appropriation constante, conflictuelle et jamais définitive de différents acteurs et groupes politiques : les milices libanaises, les groupes révolutionnaires libanais, le mouvement national libanais, les Palestiniens, les Syriens, etc. Cette tentative d’appropriation milicienne de la ville par une violence permanente a fini par diviser Tripoli entre les militants pro-syriens à Jabal Mohsen et les militants pro-palestiniens à Bab al-Tebbaneh (Tebbaneh). Cette division s’est soldée par l'explosion d’un conflit fratricide entre ces deux quartiers voisins terminé sans une véritable réconciliation,  relégant la ville à une image de cité paria.

Depuis l’assassinat du Premier Ministre Rafic Hariri en 2005, et le retrait des forces syriennes du Liban, la ville de Tripoli vit d’importants  problèmes d’insécurité et des conflits armés. Ces conflits s’inscrivent étroitement dans l’histoire de la ville et du pays.

Les vieux démons du quartier ont été réveillés après l’assassinat du Premier Ministre Rafic Hariri,. Jabal Mohsen et Tebbaneh vivent des conflits armés depuis 2008. Une réconciliation futile menée par le Premier Ministre Saad Hariri réussit quelque temps  à calmer les tensions, avant que celles-ci ne reprennent de nouveau avec la crise syrienne en 2011.

Cet article est élaboré à partir de mon étude du vécu des habitants des quartiers en conflit à majorité alaouite d’un côté et sunnite de l’autre, et des limites imposées aux habitants de Jabal Mohsen à Tripoli, afin de les encercler dans leur quartier. Mon choix de me concentrer sur les habitants de Jabal Mohsen tient à la spécificité géographique de ce quartier où la mobilité et l’appropriation de l’espace sont refusées à un groupe minoritaire de la population.4  

Dans mon étude, l’espace public est étudié à la lumière de la mobilité de la population à Tripoli comme un lieu où les divers pouvoirs ont choisi d’exprimer et d’imposer leur présence et leur prégnance sur la vie sociale. Les deux quartiers de l’étude sont Jabal Mohsen et Tebbaneh qui vivent des confrontations armées depuis la guerre libanaise. Ils ont fini par devenir des ghettos communautaires , avec à Baal Mohsen la présence du Parti arabe démocrate (PAD), un parti allié du régime syrien, et à Tebbaneh celle d’al-Moukawame al-cha’biyeh (le mouvement de résistance populaire), soutenant la résistance palestinienne. 

L’objet de cet article est de démontrer que la coalition du PAD, le seul parti politique alaouite,  est partiellement à l’origine de la stigmatisation de la communauté alaouite  de Jabal Mohsen, notamment à cause de son affiliation avec le régime syrien. Pour cette raison, ce quartier   est souvent accrédité d’une image nétagive et est perçu comme le fief du régime syrien chez les Tripolitains, voire chez les Libanais. Les combattants sunnites de Tripoli excluent le quartier de Jabal Mohsen et le marginalisent.

Cet article aborde empiriquement les problématiques développées par Henri Lefebvre 5 autour de l’imbrication entre espace communautaire, social, public ou politique. Il analyse la manière dont l’espace mental (perçu, conçu et représenté) interagit avec l’espace urbain construit, produit et projeté dans les pratiques quotidiennes des deux quartiers voisins en conflit6, Jabal Mohsen et Tebbaneh.

1- Formation de l'espace communautaire 

Le fleuve Abou Ali divise la ville de Tripoli en deux parties (c.f. image principale).7  Sur la rive est, se situent les quartiers de Soueiqa, Tebbaneh, Qobbeh et Jabal Mohsen. Sur la rive ouest, sont 

ceux d’al-Nouri, Bab al-Hadid, al-Mhetra, al-Haddadin, al-Remmaneh de la ville historique et patrimoniale ; et les quartiers al-Tall, Zahriyyeh, Nejmeh et al-Mina, ainsi que Moharam et Ghoraba dans la zone de Bassatine (verger) de la ville moyenne ou intermédiaire, construite autour de l’ancienne ville à la fin du XIXème siècle. Le Tall (c.f. figure 2), aujourd’hui dégradé, est le centre historique de la nouvelle ville qui est en développement perpétuel depuis les années 1960. La nouvelle ville, située entre Tripoli et al-Mina, est constituée des quartiers : Miatein, Azmi, Moutrane, Maarad Bassatine (la nouvelle zone remembrée des jardins). Elle est habitée par des populations plus favorisées, séparée de la ville historique par le boulevard qui s’étend depuis al-Bahsas jusqu’au rond-point Abu Ali (Boulevard Bchara Al- Khouri et Rafic Hariri).

 

 

Figure 1: le quartier al-Tall dans les années 1950 et aujourd'hui. (Sources: www.lebanonontime.com / www.sadaakkar.com / source: www.lebanonontime.com)

Deux plateaux rocheux se situent de part et d’autre de la ville. Le premier est connu sous le nom de Qobbeh, « coupole ». En face se trouve la colline du quartier d’Abou Samra qui fut connue sous le nom de la colline des Pélerins. Qobbeh et Abu Samra sont deux quartiers plus récents que la ville moyenne, situés de part et d’autre du fleuve Abu Ali, sur le haut du talus et le plateau qui dominent la ville. La crue du fleuve en 1955 (c.f. figure 3) a accéléré l’urbanisation de Qobbeh où de nombreuses familles ont trouvé refuge. Abu Samra commence à se développer dans les années 1930. Dans les années 1950, il devint un quartier mixte, principalement chrétien, aux populations aisées et de classes moyennes. Il a connu un essor important surtout pendant la guerre civile, après les conflits qui ont touché Tebbaneh et Qobbeh. Depuis les années 1970, ces deux quartiers subissent une fuite des populations chrétiennes et un processus de déclassement et de paupérisation, qui fut accentué durant les années 1990. Les populations aisées les quittent pour aller à Zaytoun Abou Samra (auparavant des champs d’oliviers, aujourd’hui ils forment l’extension de la ville avec de nouveaux appartements), à Basatin Tripoli (les jardins remembrés) ou pour sortir de la ville.

 

Figure 2: le fleuve Abu Ali, avant et après la crue (Source: www.alankabout.com)

Cependant, la première moitié du XXème siècle est marquée par une croissance de la ville, sous l’effet d’un exode rural dans tout le Levant. Les ruraux s’installent fréquemment à Tebbaneh et dans les souks, alors que les riches familles sortent de la ville historique. L’espace urbain de la ville historique est connu pour ses marchés et ses couloirs (c.f. figure 3) étroits et tortueux, couverts et découverts, de sorte que le soleil ne puisse les pénétrer que par quelques petites niches par beau temps. Les ruelles et les chemins de la ville sont étroits, faisant généralement de deux à cinq mètres, souvent sous forme de labyrinthe. Les quartiers du bas sont reliés aux quartiers situés sur les deux collines par des escaliers (c.f. figure 4).

Plusieurs dates ont bouleversé la composition de l’espace urbain de la ville. En 1955, la crue dévastatrice du fleuve Abou Ali a marqué un tournant dans la ségrégation socio-spatiale entre les quartiers de la ville. Les classes moyennes migrent vers les nouveaux quartiers et sont remplacés dans la vieille ville et à Tebbaneh par des populations pauvres ou rurales.   

 

 

 

Figure 3: la ville historique  (source: www.assafir.com)

Figure 4: les escaliers de la vieille ville (source : www.crossartslb.org)

En 1958, la majorité de la population de la ville s’élève contre la politique pro-occidentale menée par le président de la République, Camille Chamoun. En effet, l'étincelle immédiate de cette révolution populaire (1952–1958) à Tripoli fut l'assassinat du journaliste Nasib al-Matni, dans la nuit du 7 au 8 mai 1958. Dans la matinée du vendredi 10 mai à midi, les fidèles se sont rassemblés, comme tous les vendredis, à la Grande Mosquée de la place de l'Étoile dans le vieux centre-ville et à la périphérie des quartiers modernes à Tripoli. Le journaliste, Safouh Mounajad raconte que la cour de la mosquée était remplie par une foule qui a rejoint celle des habitants des villes et des régions nordiques voisines de toutes les communautés et des groupes d'âge ; des hommes, des personnes âgées, des enfants et même les femmes sortirent de leurs maisons pour participer à cette foule, qui se transforma en un sit-in qui a rempli la mosquée, les ruelles et les routes qui y mènent. A ce moment, depuis le Caire, la chaîne de radio Sawt al-Arab « la Voix des Arabes » a annoncé la révolution de Tripoli le 10 mai 1958.8  Le ressentiment dû à l’exclusion économique des habitants de la vieille ville de Tripoli et le besoin de réagir à une marginalité imposée par l’élite politique et bourgeoise de la ville a facilité le repli des habitants selon une logique sociale et politique autour d’une identité commune, cristallisée en le « Mouvement du 24 octobre » ( Haraket 24 techrin ) pour soutenir les opprimés. Le repli communautaire et l’identification confessionnelle, qui a occulté l’identité sociale commune des opprimés, ne sont arrivés que plus tard, en divisant le quartier en deux au début de la guerre. La division, entre les communautés alaouite à Jabal Mohsen et sunnite à Bab al-Tebbaneh (Tebbaneh), est apparue « lorsque la Résistance populaire ( al-muqâwama al-sha‘biyya ) a pris sur elle de défendre militairement l’« honneur » ( karâma ) de Tripoli, sa « mémoire »,9, en combattant contre un régime alaouite, instrument de l’armée syrienne ».10

 En 1960, le ressentiment contre l’État se manifeste dans certains quartiers défavorisés. En 1971, les mouvements de gauche s’opposent à la bourgeoisie, Ali Akkawi et son mouvementdénoncent la pauvreté depuis Tebbaneh où fut proclamé « Dawlat al‐Matlubin » (l’État des recherchés par la justice).11 Dès les années 1980, les normes et les signes des différentes communautés politiques et religieuses changent, le chaos s’installe dans la ville et amène des conflits violents dans l’espace public entre les quartiers de Baal Mohsen et Tebbaneh, sous un clivage pro-syriens versus pro-palestiniens. Les armes militaires et miliciennes ont pris la place du conflit démocratique politique entre les deux camps palestiniens et syriens.

1.1-  Tebbaneh: la mère porteuse de Jabal Mohsen

 Le quartier de Tebbaneh est délimité au nord par Malouleh et une voie rapide allant vers Akkar et la Syrie, au sud par le fleuve Abu Ali et à l’ouest par une voie rapide en direction de Beyrouth. A l’est de Tebbaneh se trouve le quartier de Jabal Mohsen, jadis un champ ‘Baal’ appartenant principalement à la famille Mohsen, d’où son nom d’origine Baal Mohsen qui est devenu Jabal Mohsen puisque ce champ se trouve sur une petite montagne. Avec l’exode rural du nord du Liban et de la Syrie, les constructions se multiplient à Baal Mohsen et ses environs jusqu’à Qobbeh (c.f. figure 5) pour pouvoir accueillir les nouvelles populations migrantes. Attirées, par les nouvelles constructions à Jabal Mohsen et à Qobbeh, beaucoup de familles aisées de Tripoli ont déménagé pour habiter des quartiers « bourgeois » aux ruelles larges. Les nouveaux arrivants ruraux prennent la place des citadins en mouvement. Ils sont attirés par les loyers bas et les commerces, par la rue de « la Syrie » (Souriya) avec son marché de légumes et de blé, ainsi que de tricots, de chaussures, et de meubles. Ces migrants trouvaient facilement un travail dans ces marchés et dans les usines de la région industrielle à Bahsas et au port.

Figure 5: vue générale de l'ensemble du quartier Tebbeneh et les immeubles interposés entre Baal Mohsen/Tebbaneh

La crue du fleuve Abou Ali, en 1955, accentua la paupérisation de la vieille ville. Ceux qui en avaient les moyens quittèrent les quartiers sinistrés vers les nouveaux quartiers (Abou Samra, Qobbeh, Baal Mohsen, route d’Al-Mina, al-Tall…) tandis qu’une population d’origine rurale les remplaça. Ces populations  contribuèrent  à la relance des nouveaux quartiers, ce qui encouragea  les investisseurs à y implanter des projets commerciaux, économiques et institutionnels. A Jabal Mohsen, l’Hôpital ‘Hôtel-Dieu’ a ouvert une branche, et des écoles furent construites, comme l’école Évangélique, l'école du Diocèse maronite, et un lycée public à Qobbeh.

Les Alaouites vivaient principalement à Tebbaneh ou dans la ville intermédiaire de Tripoli. Jusqu’à la veille du déclenchement de la guerre civile libanaise, en 1975, Jabal Mohsen, ou plutôt Baal al-Wati (le bas champ) ou Baal al-Darawich (Dervich), avant de s’étendre vers le haut du côté du quartier de Qobbeh, n’était qu’une rue de Tebbaneh. Ses habitants mixtes partageaient les inquiétudes, les peurs et les rêves vécus par tous les Tripolitains.

Avec un nombre croissant de résidents, Baal Mohsen est né parallèlement à  l'expansion du tissu urbain  qui contribua à créer  une continuité entre haret al-Saydeh (le chemin de la vierge) et le quartier de Tebbaneh. Les constructions s’étendirent jusqu’à la rue de la mosquée de l'Imam Ali bin Abi Taleb et à Kuaa’ (les virages) al-Qobbeh. L'expansion continua  au nord en formant Haret al-Jdideh (le nouveau chemin) et à l'est vers la place Amerken.

Jabal Mohsen, habité par une majorité d’Alaouites, était un quartier résidentiel mixte. Les conflits armés dans la ville ont causé des tris sectaires successifs  pour arrêter la propagation des Alaouites vivant dans d'autres quartiers de la ville. Les partisans ont commencé à construire des auto-enclaves urbaines, encouragées par les leaders politiques et leurs référents des deux côtés.

Les Alaouites travaillent principalement dans le secteur commercial. Ils avaient leurs boutiques dans le marché du blé, à al-Jesser (le pont), à souk al-Bazerken, Khan al-khayatin (couturiers) et dans la rue principale du quartier al-Tall (la colline). Avec la guerre, beaucoup d’Alaouites ont quitté leurs logements et leurs commerces pour s’installer à Jabal Mohsen.

Au début du siècle dernier, la majorité des Alaouites appartenait à la classe ouvrière ou commerçante. Ceux qui bénéficiaient d’une bonne situation financière, étaient propriétaires de leur appartement et/ou de leur boutique, et devinrent au fil du temps propriétaire de l’immeuble.

Baal Mohsen ou Jabal (montagne) Mohsen est subdivisé en deux parties : la première est le bas de la colline, elle forme une partie de Tebbaneh et englobe la rue de l'Imam Ali, haret al-Jdideh (le nouveau chemin), Sateh al-bir, haret al-Saydeh, le sanctuaire du Cheikh Imran, tal’et (la montée) al-Omari, la montée al-Kuaa’, la montée al-Chmel, toutes ces rues aboutissent ou sont parallèles à la rue de Syrie, connue comme ligne de démarcation entre Tebbaneh et Baal Mohsen. La seconde est la partie haute de la colline proche d’al-Qobbeh et contient la place Amerken, la rue Bakkar et la rue principale de Jabal Mohsen menant à Mankoubin.

Le quartier Baal Mohsen ou Jabal Mohsen est subdivisé en deux circonscriptions foncières. Le haut de la colline dépend de la circonscription de Qobbeh et le bas de Tebbaneh. 40,000 personnes habitent Baal Mohsen au total, la grande majorité est alaouite. 57,5% (23.000) habitants sont inscrits sur les registres de Tebbaneh et 42,5% (17.000) des habitants sont inscrits sur les registres de Qobbeh. Sur les 23,000 inscrits à Tebbaneh, 10 à 11,000 participent réellement aux élections. Par ailleurs, 60,000 à 65,000 personnes habitent à Tebbaneh (sans Jabal Mohsen), dont 30,000 à 35.000 (53,8%) électeurs et 15,000 à 20,000 votants. Tebbaneh (Jabal Mohsen inclus) compte 100,000 habitants, 58.000 électeurs, presque la moitié ne votent pas (48,3%). Tous les électeurs inscrits à Tebbaneh n’habitent pas Tebbaneh, beaucoup habitent Tripoli ou à l’extérieur de la ville, et beaucoup d’habitants de Tebbaneh votent au Akkar, à Deniyeh et Machta Hasan.12

1-2 Communautarisation, contrôle et encadrement de la communauté alaouite

Dans les années 1970, Tripoli connaissait encore une forme d’ essor économique et de mixité confessionnelle et sociale. Trois événements régionaux arabes arrivèrent simultanément, et contribuèrent à faire naître le germe des conflits qui affectèrent la région, le Liban, Tripoli et les deux quartiers de l’étude. A l’Université Américaine de Beyrouth (AUB), en 1971, un jeune étudiant, alaouite de Tripoli, Ali Eid, fut agressé par un étudiant saoudien. Cet incident changea  la donne politique par la constitution de la communauté alaouite en une force politique.  Le mouvement de la jeunesse alaouite fut ainsi créé en tant que   mouvement indépendantiste libanais, revendicateur des droits politiques de la communauté alaouite au Liban. La même année, Hafez al-Assad accéda au pouvoir en Syrie, donnant plus d’élan et de consolidation au jeune mouvement. Enfin, suite au conflit entre l’armée jordanienne et l’organisation de la libération de la Palestine (OLP) en septembre 1970, connu sous le nom de “septembre noir”, Arafat et ses combattants furent expulsés de la Jordanie et trouvèrent refuge au Liban en juillet 1971.

La création du mouvement sectaire des jeunes alaouites fut une première à Tripoli, qui embrasse traditionnellement un mouvement de gauche laïc fort. Pendant la guerre civile libanaise, ces deux mouvements compatriotes vont se retrouver dans une guerre fratricide. Le mouvement national laïc de gauche s’allia au mouvement palestinien, comme seul mouvement de résistance face à l’ennemi sioniste après la défaite des régimes arabes ; De  son côté , le mouvement de la jeunesse alaouite s’aligna sur la politique syrienne, qui à son tour s’inscrivit dans la lignée de la politique américaine. Cette dernière avec le Président libanais, assignèrent à l'armée syrienne au sein des « forces de dissuasion arabe » (quouwat al-rade’ al-arabiyah) le contrôle du territoire libanais au déclenchement de la guerre libanaise ; lui donnant ainsi indirectement le contrôle du mouvement palestinien au Liban. Rapidement le régime syrien réussit à monopoliser cette force régionale, en contrôlant sa direction et ses membres, et en la mobilisant comme la première force pour combattre l’OLP. A partir de ce moment, Tripoli est devenu de facto  le réceptacle de tous les messages politiques, le lieu essentiel de la coexistence réglée des différences. A chaque fois que la tension politique augmente entre les dirigeants syriens et leurs alliés libanais, d'une part, et le mouvement national et la résistance palestinienne, d'autre part, des combats sont déclenchés à Tripoli  pour adresser et échanger des messages spécifiques, afin d'obtenir certains gains ou concessions.

Avec le début de la guerre civile, une confrontation meurtrière a lieu entre le mouvement syrien et le mouvement national et palestinien qui menèrent une première invasion à Jabal Mohsen. Au cours de ces années de tutelle, de contrôle et de répression syriennes, les conditions économiques et sociales des habitants de Tripoli, dégradées par la guerre civile, s’effondrent complètement.

La réconciliation, la loi d'amnistie et les indemnisations par le Ministère des Déplacés, réalisées suite à l’accord de Taëf (1989) et qui marquèrent la  fin à la guerre libanaise, ne prirent pas  en compte les deux quartiers Tebbaneh et Jabal Mohsen, ni leurs habitants.

Parallèlement à cela, l’autonomie, l’indépendance et l’autogestion de la communauté alaouite à Tripoli et son fonctionnement comme une communauté nationale libanaise attirèrent l’intérêt des Alaouites au pouvoir en Syrie. Rifaat al-Assad, le frère et le vice-Président de Hafez al-Assad, Président de la Syrie, se présenta  comme le défenseur des droits des Alaouites libanais en lutte. Il annonça alors la formation des « Brigades de défense » Saraya al-difaa’, puis de l'organisation des « chevaliers » al-Forsan, au sein de la communauté alaouite. Pendant la guerre libanaise, ces chevaliers ont constitué un des piliers du Jabhat al-Mouwajaha « front de confrontation ». Dans la lignée du  succès populaire que ces Brigades obtinrent , Rifaat fonda  le journal des « Chevaliers » sous la responsabilité de Nasri Khoury, qui occupa  plus tard la fonction du secrétaire général du Conseil supérieur libano–syrien. En soutenant la lutte de la communauté alaouite au Liban, le régime syrien a ainsi trouvé un allié stratégique « organique » fidèle au Liban, le PAD.

2- De la centralité à la communautarisation: la communauté alaouite et le PAD

Le quartier de Tebbaneh fut nommé Bab al-Dahab (la porte de l’or) au milieu du XXème siècle. Il fut le quartier central où tous les commerces transitaient, assurant une part importante de l’économie libanaise. Depuis la guerre civile, une recomposition des centralités des villes et des quartiers imposa un nouvel ordre dans la reconstitution urbaine. La plus importante est le clivage communautaire entre Jabal Mohsen et Tebbaneh, où une division sectaire s’est inscrite dans la ville historique. Des frontières séparent Jabal Mohsen de son environnement. Elles sont généralement habitées par des Sunnites, comme le chemin al-Bakkar, la place Amerken à Qobbeh, l'axe du marché du blé, le chemin al-Saydeh et la montée al-Omari.

Quel rôle a joué la communauté alaouite et/ou le PAD dans la production de l’espace aujourd’hui ? Quelle influence exercent les combattants sunnites dans la production de l’espace ? Comment l’espace public est-il représenté par mes interlocuteurs alaouites pendant le conflit ? Comment vivaient-il ce conflit ?

2-1 Relégation de la communauté alaouite

La société libanaise, qui s’estime riche de sa diversité, se reconnaît traditionnellement dans un communautarisme bien agencé, qui a réussi à imposer sa propre règle du jeu à la vie politique. Toujours est-il que la participation des minorités n’est pas garantie par le système. La communauté alaouite faisait partie de ces minorités exclues jusqu’aux années 1990. Vingt ans de lutte pour l’accès aux droits, de 1973 à 199513 ont donné à cette communauté le droit à deux députés en 1992, et à quelques minimes postes dans la fonction publique. En 1995, un décret promulguait la garantie des droits de la communauté à une représentation politique limitée. Néanmoins, pendant la présence syrienne au Liban, la communauté alaouite avait douze officiers à l’armée, aujourd’hui ils ont le grade de Brigadier général. 
En 1992, Ali Eid fut élu le premier député de la communauté. En 1996, il fut remplacé par Ahmad Hbous. Ces deux élections passèrent sous le contrôle du régime syrien, présent au Liban, qui a décidé de pénaliser momentanément Ali Eid, relié à Rifaat al-Assad (c.f. supra) en l’excluant momentanément de la vie politique.

2-2 Délégation économique et enclave urbain

Cette relégation est une des raisons de la baisse du niveau socio-économique de la communauté alaouite, qui s’est dégradé avec le conflit. Ces dernières années, très peu d’Alaouites travaillant en ville ont pu garder leur travail. Beaucoup des inactifs ont ouvert des snacks à Baal Mohsen. Deux jours après le début d’un conflit sanglant, tous les prix s’envolent dans le quartier . Le transport des produits devient difficile. Des sommes sont payées aux miliciens armés sunnites qui bloquent l’entrée pour obtenir l’autorisation de passer. La somme varie selon le moyen de transport, par exemple, faire passer un camion de pommes de terre coûte 500 dollars, alors que porter des médicaments à la main et les faire passer coûte moins cher. Cette somme est rajoutée et divisée à la vente, ce qui cause une forte augmentation des prix. le prix des légumes double  alors que les revenus baissent, voire sont annulés .

Pour mes interlocuteurs, le but de ce blocus est d’affamer la communauté alaouite. La faim pousse à la révolte et la révolte renvoie à la violence. La dégradation de la situation économique est visible à Baal Mohsen, les gens sont surendettés, les recettes ne couvrent plus les dépenses. Mahmoud est endetté d’un million de livres libanaises depuis qu’il a quitté son travail. Mona sa femme n’ayant plus de gaz au moment de ma visite, elle me proposait un café sur un petit réchaud. Le couple a vendu les meubles du salon pour inscrire les enfants à l’école. Mona a vendu sa bague en or pour couvrir d’autres dépenses. Les gens ne peuvent plus s’endetter entre eux, tout le monde est dans la même situation. Des aides, sous forme de poulets, de veau, etc. arrivent à la communauté.

Mounir14est propriétaire d’un atelier de carrosserie, il loue son garage à 400 dollars par mois, et sa maison à 210 dollars, depuis deux ans il n’a pas payé son loyer. Depuis trois mois, Mounir n’a pas osé sortir de Baal Mohsen pour aller à son travail. En trois mois, il n’est sorti que trois jours. Auparavant, il gagnait bien sa vie, il a un métier et fait partie des personnes qui ne peuvent pas exercer leur métier ni en changer. Le mode de vie de Mounir a été complètement bouleversé, il vit actuellement sur les aides.
Le mari de Maha est peintre, sans travail il ne sort plus du quartier, avant il gagnait 50 dollars par jour. Maha15interdit à ses deux jeunes garçons de sortir du quartier pour chercher du travail. Depuis 2008, ils vivent dans une chambre, où je les ai interviewés, leur maison est tombée en ruines. Quand le conflit est fort, ils dorment à plus de 15 personnes dans une pièce. Tous les secteurs de la ville ont été touchés par ces conflits qui ont accentué la pauvreté dans la ville et la région de manière générale. Les commerçants de la zone du conflit sont les premiers à en payer le prix. Nadia possède une boutique d’habits et d’accessoires pour femmes. Elle vend pour 3,000 livres libanaises par jour, elle a deux mois de dettes de loyer. Je l’ai rencontrée à midi elle avait effectué quelques ventes et gagné quelques livres. 

La situation économique et sociale de la ville a fait émerger des problèmes sécuritaires. Certains jeunes, que la population appelle communément “les voyous” terrorisent les habitants. Les chefs de milices les arment en échange d’un peu d’argent et leur confèrent un certain pouvoir.  

2.3- Repli identitaire et exclusion

Des Sunnites, impliqués dans le conflit, attaquent d’autres Sunnites s’ils ne respectent pas les frontières et les dépassent pour offrir des services à Baal Mohsen. C’est ce qui est arrivé au marchand de légumes à qui on a amputé la jambe parce qu’il avait des clients Alaouites. Tout est fait pour que personne ne puisse servir les Alaouites. Par peur, un boulanger distributeur de pain a publié un communiqué disant qu’il ne sert plus  les boulangeries distribuant du pain à à Baal Mohsen.

Toute tentative de créer de l’espace public, des « espaces communs », de la collectivité sociale et politique, de l’être-ensemble, se heurte à une interdiction d’accès à l’espace public. L’histoire suivante montre à la fois le racisme féroce qui s’exerce envers les Alaouites, mais en même temps les tentatives des Alaouites pour dépasser les frontières et revendiquer leur droit à la ville.

Iman habite à Tebbaneh, elle a une quarantaine d’années, mariée, mère de cinq enfants. Le frère d’Iman est un mécanicien. Abdel Latif Saleh, une personnalité politique du PAD de Baal Mohsen a déposé sa voiture pour la réparer dans un garage à Tebbaneh. Des jeunes en ont pris connaissance, sont venus chez Ziad, le garagiste pour lui obliger à casser la voiture :

« On ne veut pas te faire du mal, tu es un des nôtres, mais il t’est interdit de prendre leurs voitures, il leur est interdit de venir en ville. On va brûler la voiture »16

L’opinion d’Iman est partagée par beaucoup de civils qui sont conscients que ce conflit est provoqué et que la plupart des civils sont instrumentalisés pour se combattre à des fins politiques.

Pendant ces combats armés, beaucoup de familles ont perdu des êtres chers, leur appartement a été partiellement  ou totalement détruit, certains subissent des troubles psychologiques graves . D’emblée, la communauté sunnite plus forte en nombre et en termes de territoires habités, s’impose comme une force dans l’espace public et astreind une reconfiguration des interactions, basée sur la domination et l’inégalité par la violence et la peur, dans ce dernier. La communauté alaouite est moins nombreuse que la communauté sunnite (c.f. supra), son territoire géographique principal, bien qu’il soit sur une colline, est encerclé par des quartiers sunnites de tous les côtés (c.f. figure 6). Divisés entre eux, mais unifiés face à l’autre, des Sunnites combattants identifient des Alaouites comme ennemis à éradiquer et non comme adversaires à combattre. 

Figure 6: Jabal Mohsen encerclé par les quartiers majoritairement sunnites (Source: Loïc Ploteau, 1997)

L’escalade de la violence armée, les menaces permanentes et la recherche de la sécurité ont motivé des Alaouites à se retrouver entre eux :

« On vivait à Qobbeh, la route de Zgharta, et quand le conflit communautaire a commencé on est venus ici, pourtant on aime la mixité. Ils ont dit si vous ne videz pas la maison on va la brûler. On a fui, chacun est resté des mois chez ses parents » (Mona)17
Avec la montée du communautarisme en 2011, Mona et son mari ont décidé de déménager et de se réfugier à Jabal Mohsen parmi les gens de leur communauté . De temps en temps, Mona va se réfugier avec ses enfants chez ses parents à Qobbeh, le quartier sunnite frontalier, au moment du conflit. Les déplacements, dans le cas de Mona, sont dans un seul sens, les parents de Mona ou d’autres habitants de l’extérieur du territoire n’osent pas venir voir leur famille à Baal Mohsen, par peur que ce déplacement leur soit reproché comme une trahison de la part de leur communauté.

D’autres individus sunnites voient chez les Alaouites ou les « Nsayriyehs »,18. comme ils sont désignés, une communauté mécréante.  Poussés par les pressions de leur communauté, ils ont tendance à oublier toute la vie de partage et de voisinage avec les Alaouites et appliquent envers eux leur loi divine qui leur dicte de tuer ou punir tout mécréant. Quand Mona va se réfugier dans sa famille à Qobbeh pendant les conflits, elle raconte qu’elle a surpris ses voisins  en train de cracher derrière elle chaque fois qu’elle passait .  Selon elle, sa voisine aurait surenchéri en répliquant :« Maintenant, on a le droit de te tuer parce que tu es mariée à un Alaouite »19. Cette attitude raciste suivie d’humour noir est une réaction banalisée.

Pour déconstruire cette diabolisation de l’Autre, le contact quotidien de face à face est la stratégie de Salim, un jeune enseignant de Jabal Mohsen. Salim enseigne à Zahriyyeh dans un lycée technique, ses étudiants sont de Tebbaneh, Zahriyyeh, du camp de Bared et de Baddawi. Il entretient avec eux un très bon rapport qui dépasse tout conflit : « Je construis des ponts de dialogue avec mes étudiants, notre relation est superbe. On déconstruit cette frontière confessionnelle entre nous »20.

Malgré cette diabolisation, des histoires humaines sont racontées de part et d’autre pour transmettre le partage et le vécu commun : « Un Alaouite était notre messager d'amour et nous a sauvés du massacre » (Rachid)21 « On a plus d’amis Alaouites que de gens d'ici, on s'appelle après chaque conflit pour avoir des nouvelles » (Karim)22.

Pendant l’entretien, Hanane, femme d’une famille sunnite d’al-Mina qui vit avec son mari sunnite depuis 40 ans à Jabal Mohsen dans la rue « Amerken », a exprimé son incompréhension de cette montée de communautarisme, alors qu’elle et sa famille qui vivent depuis 40 ans avec des Alaouites n’ont souffert de rien, bien au contraire : « Je vis très bien ici, on dort chez eux, nous sommes une seule famille, ils m’offrent plus que mes parents ne m’offraient »23.

Son mari fut arrêté plusieurs fois dans la rue, on le prenait pour un alaouite puisqu’il habite Jabal Mohsen, et chaque fois il a été sauvé par des gens qui le connaissaient. Hanane craint le pire. Cette montée de communautarisme est sensible même dans les quartiers en dehors du conflit. Elle raconte que quand elle va voir ses parents à al-Mina, les voisins lui demandent comment elle peut supporter d’habiter parmi les Alaouites.

3- Pratiques spatiales au moment des conflits et formes de marquages communautaires

Les deux communautés religieuses et politiques en conflits investissent de manière différenciée les formes urbaines de Tripoli. La vie des civils des deux côtés est partagée à tous les niveaux, ils forment une seule entité sociologique à Tripoli malgré leurs différences. A Jabal Mohsen, les gens sont habités par la peur, ils parlent de souffrance, de déprime, de pauvreté, de malheur et surtout d’insécurité, d’ennui, de nervosité et du désastre. Des mères sont désespérées de ne pas pouvoir protéger leurs enfants de l’influence des autres jeunes et de la rue. D’autres utilisent sérieusement des moyens de contraception pour ne pas avoir d’enfants dans cette situation.

Mona et Alya, deux femmes interviewées, m’ont raconté leur souffrance. Durant quarante minutes d’entretien avec Mona et son mari, elle a dit à cinq reprise : « on vit comme ça » par cette expression, Mona signifie qu’ils sont des morts vivants, rien n’anime leur vie, ils vivent parce qu’il le faut : « Tu attends ton tour avec tous les morts et tu vis en attendant le pire ».24

Mahmoud son mari, ajoute : « Nous vivons une purification ethnique »25.

Mahmoud travaillait à la cantine de l’Université libanaise (UL) à Qobbeh, un territoire reconnu sunnite, quand il pouvait encore aller au travail, Mona passait son temps au téléphone pour avoir de ses nouvelles. Dans un appartement trois pièces, la famille occupe une seule chambre à coucher par peur des tirs pendant la nuit : « Ici on dort juste dans cette chambre parce que ça peut exploser la nuit »26.

Avec l’intensité des conflits, Mona a pris la décision de partir avec ses enfants s’installer dans sa famille sunnite à Qobbeh, le temps que la violence passe, son choix n’était pas facile : « J’avais peur de prendre mes enfants et de laisser mon mari, à la fin je me suis dit j’ai trois enfants, mes enfants doivent vivre aussi »27 Entretiens conduits à Jabal Mohsen, le 2 mars 2014.

Ces violences continuelles créent des problèmes à tous les niveaux, des problèmes conjugaux, relationnels et des problèmes matériels. Mahmoud me raconte28qu’à la fin de chaque cycle de violence, ils sont obligés de réparer les installations d’eau et d’électricité ; n’étant pas réalisées aux normes au Liban, elles sont exposées en plein air et peuvent être facilement touchées.

Les Alaouites à Baal Mohsen ont peur de se faire massacrer par les takfiristes,29 ou de subir le même sort que leurs frères en Syrie, pour cela ils sont prêts à prendre les armes quand ils estiment que la violence augmente et met leur vie en péril. Alya me confirme en présence de son mari ses dernières volontés. Dans le cas où les takfiristes entrent chez eux, elle souhaite que son mari tue toute la famille avant que les autres ne les touchent :

 « Je le jure, tout est effrayant, j’ai peur de tout. J’ai des filles, imagine que quelqu'un touche ta fille qu'est ce qui peut t’arriver ? Je ne peux pas t'expliquer mes sentiments, j’ai la rage, notre vie est un enfer » (Alya)30.

Alya a deux fils et deux filles, les fils ont 21 et 19 ans. Il est difficile pour elle de retenir les garçons à la maison : « J’ai trop peur pour eux. C’est l’âge où ils ont le sang bouillant. Ils vont combattre comme tout le monde »31.

Alya et son mari Bahaa, avec leurs quatre enfants vivent à Haret al-Jdideh sur la frontière entre Jabal Mohsen et Tebbaneh, près de la rue de Syrie. Depuis plus de trois ans Alya n’est pas allée au souk, elle a peur, le souk est entre les deux quartiers. Elle fait ses courses à Baal Mohsen, ou plutôt son mari les fait. Elle est hantée par l’idée du danger et la peur de rester bloquée à l’extérieur si elle sort : « Si quelque chose m’arrive alors que je suis à l’extérieur, qui va me ramener chez moi ? Ou qui va s’occuper de mon mari et de mes enfants ? »32

En plus de la paralysie, les gens subissent l’humiliation. Les jeunes fils d’Alya ne travaillent pas depuis trois ans, ils demandent à leurs parents de l’argent de poche, alors que ces derniers n’ont pas d’argent. Alya s’est installée au Liban à l’âge de 21 ans. Depuis 2008, sa vie a complètement changé, elle regrette sa vie en Syrie.  Elle se dit prête à combattre si nécessaire pour protéger sa famille et son territoire en l’absence d’un État fort :

« J’ai demandé à mon mari de m’apprendre à tirer, au moins je pourrai me défendre. Je donnerais ma vie aussi pour défendre Baal Mohsen. Si on était protégés je ne serais pas obligée de combattre, si l’État me protégeait »33.

Pendant le conflit, les habitants de Jabal Mohsen utilisent leur stock d’alimentation, tout le monde est étouffé par l’odeur des ordures et finalement pour la faire disparaître ils les brûlent. Alya s’est habituée au conflit  :

« Maintenant, j’ai l'habitude, au premier conflit j'étais allongée par terre ici, maintenant je regarde la télé, nous ne pouvons rien faire. Je pense que j'ai dix ans de plus que mon âge à cause de ce que nous vivons. Pendant le conflit, je ne parle pas, je ne ris pas, je deviens très nerveuse, nous sommes stressés. Le conflit a influencé toute la vie quotidienne du couple. Vous ne pouvez pas parler aux enfants, ils se battent, pleurent, sont devenus nerveux »34.

« Assiégé », « encerclé », « blocus », ces mots ont été répétés plusieurs fois durant les entretiens : « On n’envie pas cette souffrance. Notre sujet est le blocus » (Um Jaafar)35.  « Nous sommes encerclés dans une bouteille » (Zeinab)36.

Des civils de Jabal Mohsen subissent un « blocus » imposé par des Sunnites qui entourent tout leur territoire des quatre côtés : Baddawi, Tebbaneh, Mankoubin et Qobbeh. Le mot « blocus » a été prononcé par tous les interviewés qui se sentent complètement assiégés et interdits d’accès à l’espace public et à la ville. Cette situation a fait grandir la peur chez les civils. Même les femmes, qui peuvent passer plutôt inaperçues et ne peuvent pas être attaquées par les hommes, sont handicapées par la peur. La plupart des hommes, qui travaillent à l’extérieur du territoire, ont été licenciés. Leurs employeurs ne veulent pas prendre le risque d’être agressés, ou que le lieu de travail soit menacé parce qu’ils emploient un Alaouite, ou encore prendre le risque qu’il s’absente au gré de la situation. D’autres ont arrêté eux-mêmes le travail pour ne pas risquer leur vie en travaillant dans des quartiers sunnites. Mahmoud a quitté son travail à la cafétéria de l’Université libanaise à Qobbeh. Le cas de Mahmoud n’est pas exceptionnel, beaucoup d’hommes de Jabal Mohsen se trouvent sans emploi à cause du communautarisme qu’ils subissent. Ce blocus aussi économique a imposé la précarité à des familles qui vivaient modestement auparavant.

Bahaa passait ses soirées à l’extérieur jusqu’à deux, trois heures du matin. Aujourd’hui sortir en plein jour est compliqué. De temps à autres  quelques civils dépassent la frontière et vont en ville tout en étant armés et conscients des risques qu’ils prennent, 37 Bahaa raconte38:
« Quand je suis allé en ville avec Abou Hassan, nous avions le pistolet tout le temps. Une fois, j'étais avec Yola et Karim, quand nous sommes arrivés à la mosquée al-Takwa, ils ont coupé la route, nous avons vu des hommes barbus, ils ont insulté la Syrie et les Alaouites, nous n'avons rien dit, nous étions parmi eux, nous y avons passé deux heures. S'ils avaient connu notre identité, alaouite et chiite, ils nous auraient traités comme Daech».

Pour chasser les Alaouites, habitants de Jabal Mohsen, et leur interdire l’accès à la ville, une seule méthode est efficace, le repérage. Une ou plusieurs personnes sunnites peuvent rester sur la frontière avec Jabal Mohsen et repérer toute personne dépassant les frontières. Le jour d’attaque et de repérage, toute personne sortant de Jabal Mohsen court le risque d’être agressé, qu’elle soit Alaouite ou non. Pour se déplacer de façon sûre et sécurisée sous le conflit, l’armée a mis à la disposition des habitants de Jabal Mohsen des chars. Ils sont le seul moyen sécurisé de transport pour franchir la frontière. Pour les cas urgents de déplacement, un milicien de Baal Mohsen appelle l’armée pour envoyer un char et transporter une femme enceinte, un malade ou des civils qui veulent fuir le quartier.

Conclusion

Ces conflits nous renseignent sur la façon dont l’espace public peut être approprié au moment d’une crise, d’une guerre ou d’un conflit. À Tripoli, une ville multicommunautaire et mixte, l’espace public fait l’objet d’une tentative d’ appropriation et de monopolisation par la communauté sunnite qui exclut la communauté alaouite en raison de ses appartenances et de ses alliances politiques. Ce conflit politique entre les combattants pro-régime syrien et les combattants anti-régime syrien a été transformé intentionnellement par quelques profiteurs en un conflit communautaire.

Par les armes et la terreur, des groupes sunnites anti-régime syrien ont voulu imposer leurs propres codes et règles à la communauté alaouite à Jabal Mohsen et poser leurs propres conditions d’accessibilité à l’espace public. Cette tentative de privatisation de l’espace se caractérise par la fermeture et le marquage par l’identité d’un groupe particulier, en l’occurrence sunnite.

En analysant les limites imposées au quotidien par un groupe de la population, en l'occurrence vivant à Tebbaneh et ses alentours, sur un autre groupe, on constate en temps de crise, l'absence du respect des apparences formelles, la non cristallisation de l'hétérogénéité profonde des acteurs en une uniformité de surface39. Les conventions sont rompues et la loi du plus fort règne. Cependant les civils des deux côtés ont exprimé les mêmes sentiments de peur, de souffrance et de frayeur. Tous ont affirmé leur désir de vivre ensemble, loin de l’instrumentalisation politique.

En définitive, le conflit entre les deux quartiers est par excellence un conflit politique. Il paraît clair que l’alliance PAD-Syrie marginalise toute la communauté alaouite dans les enjeux identitaires et politiques libanais. Au nom de cette alliance historique, un amalgame est souvent fait entre la communauté entière et la représentation négative du PAD, qui forme un facteur d’instabilité politique au Liban dans la mesure où il constitue un élément d’insécurité et de soutien au régime syrien.

 

Bibliographie:

Ouvrages 

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Ploteau, Loïc, Les populations originaires du Haut-Daniyyé à Tripoli (Liban): les dynamiques de ségrégation et de citadinisation, mémoire de maîtrise, Université de Tours, 1997.

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Rapports

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Articles journaux

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  • 1.

    International Poverty Center, Poverty, growth and income distribution in Lebanon, 2008, URL: www.ipc-undp.org/pub/IPCCountryStudy13.pdf  [page consultée le 20 mai 2014]

  • 2. Urban Community al-Fayhaa, Tripoli final strategy, 2008, p.15.
  • 3.

    Ministry of Social Affairs and UNDP, Mapping of Living Conditions in Lebanon Between 1995 and 2004, 2007, URL: http://www.lb.undp.org/content/dam/lebanon/docs/Poverty/Publications/comp.mapping%201995-2004%20-%20English.pdf [page consultée le 27 juillet 2015].

  • 4. Les sources utilisées dans ce travail proviennent d'entretiens ouverts ou semi-directifs réalisé en deux phases. La première phase a eu lieu en novembre avec une équipe de chercheurs sur Tripoli. Les 23 entretiens durant cette période ont été effectués avec les axes leaders « Kadet mahawer », des personnalités populaires et des personnalités politiques. La deuxième phase s’est déroulée entre décembre 2013 et février 2014 avec six couples et quatre individus à Tebbaneh et avec quatre couples et quatre femmes à Jabal Mohsen. En plus des observations pendant toute cette période à Tripoli.
  • 5. Henri Lefebvre, Le droit à la ville, Paris, Anthropos, 1968 ; Henri Lefebvre, Espace et politique, Paris, Anthropos, 1972.
  • 6. Henri Lefebvre, Espace et politique, Paris, Anthropos, 1972, p. 169
  • 7. Pour plus de détails sur la division géographique, sociale et économique de Tripoli voir : Harmandayan, Diran, Al-Mukhattat al-Tawjîhi al'Am wa al-Tafsîli li Manâtiq Trablous, al-Mina, Beddawi wa Ras Masqa al-'Iqâriyya, DGU, Ministère des Travaux Publics, 2002 ; Catherine de Thomas et Bruno Dewailly, Pauvreté et conditions socio-économiques à al-Fayha'a: diagnostics et éléments de stratégie, Agence française de développement, Paris, 2009 ; Maha Kayal, L’eau en société, Pratiques et perceptions des usagers à l’égard service public en charge de la distribution de l’eau et de l’assainissement à Tripoli, Etude commanditée par l’association Corail, 2007.
  • 8. Pour plus d’information au sujet de la révolution à Tripoli, voir URL http://www.tourathtripoli.org/phocadownload/sawret%20tripoli%201958.pdf/[page consultée le 27 juillet 2015]
  • 9. Michel Seurat, Le quartier de Bâb Têbbané à Tripoli, étude d’une 'assabiya urbaine, Édité par CERMOC. Mouvements Communautaires et Espaces Urbains au Machreq, 1985, pp. 45-86.
  • 10. Je me limite dans cet article au conflit entre les quartiers sunnite de Bab Tebbaneh et alaouite de Jabal Mohsen à Tripoli entre 2008 et 2014. Ce conflit, qui s’inscrit dans la continuité de la guerre civile libanaise, a été étudié par Michel Seurat, aux travaux duquel je renvoie le lecteur. Quelques faits anciens sont évoqués lorsque nécessaire. Michel Seurat, Le quartier de Bâb Têbbané à Tripoli, éude d’une 'assabiya urbaine, Édité par CERMOC. Mouvements Communautaires et Espaces Urbains au Machreq, 1985, pp. 45-86.
  • 11. Pour plus d’informations concernant cette période et ce personnage voir Seurat, op. cit. 11.
  • 12. Entretien effectué avec le Directeur du journal as-Safir, Ghassan Rifi, le 1er septembre 2014.
  • 13.  Entretien effectué avec un avocat alaouite, habitant Tripoli, membre du courant du Futur et futur candidat aux élections parlementaires sur sa liste, en Octobre 2013.
  • 14. Entretiens conduits à Jabal Mohsen, le 27 janvier 2014.
  • 15. Entretiens conduits à Jabal Mohsen, le 3 février 2014.
  • 16. Entretiens conduits à Tebbaneh, le 20 mars 2014.
  • 17. Entretiens conduits à Jabal Mohsen, le 2 mars 2014.
  • 18. En référence à son fondateur Mohamad Ibn Nussayr. Il puise ses fondements dans le chiisme et dans l’islam ismaélien, et conserve certains enseignements et pratiques secrets. Les Alawites représentent moins de trois pour cent de la population libanaise. Ils sont principalement présents dans le Nord, notamment à Tripoli – où plus de 60 pour cent se concentrent dans le quartier de Jabal Mohsen – et dans certains villages frontaliers d’Akkar.
  • 19. Entretiens conduits à Jabal Mohsen, le 2 mars 2014.
  • 20. Entretiens conduits à Jabal Mohsen, le 26 février 2014.
  • 21. Entretiens conduits à Tebbaneh, le 20 février 2014.
  • 22. Entretiens conduits à Tebbaneh, le 17 mars 2014.
  • 23. Entretiens conduits à Jabal Mohsen, le 25 janvier 2014.
  • 24. Entretiens conduits à Jabal Mohsen, le 2 mars 2014.
  • 25. Entretiens conduits à Jabal Mohsen, le 2 mars 2014
  • 26. Entretiens conduits à Jabal Mohsen, le 2 mars 2014.
  • 27. Entretiens conduits à Jabal Mohsen, le 2 mars 2014.
  • 28. Entretiens conduits à Jabal Mohsen, le 2 mars 2014.
  • 29. ce sont des islamistes qui attaquent toute personne qui ne partage pas leur doctrine et ne se comporte pas conforément à leur interprétation de la Sunna
  • 30. Entretiens conduits à Jabal Mohsen, le 26 janvier 2014.
  • 31. Entretiens conduits à Jabal Mohsen, le 26 janvier 2014.
  • 32. Entretiens conduits à Jabal Mohsen, le 26 janvier 2014
  • 33. Entretiens conduits à Jabal Mohsen, le 26 janvier 2014.
  • 34.  Entretiens conduits à Jabal Mohsen, le 26 janvier 2014.
  • 35. Entretiens conduits à Jabal Mohsen, le 29 janvier 2014.
  • 36. Entretiens conduits à Jabal Mohsen, le 2 février 2014.
  • 37. Pour plus de détails à ce sujet, sur la navigation dans l’espace public et l’accessibilité, un article de ma contribution sortira début 2015 dans un ouvrage collectif à Christian Michelsen Institut à Bergen-Norvège dans le cadre du projet ‘civil –military relationship’.
  • 38. Entretiens conduits à Jabal Mohsen, le 26 janvier 2014.
  • 39. Pierre Pellegrino, Cédric Lambert, Frédéric Jacot, "Espace public et figures du lien social", Espaces et société : complexité du social, No 62-63, Octobre 1991, pp. 11-28.
About the author(s):
Marie Kortam:

Dr. Marie Kortam holds her Ph.D in Sociology from the University of Paris-Diderot. She is an Associate Researcher at the French Institute of the Near-East (IFPO - Beirut) and member of Arab Council for Social Sciences. She is “ingénieure de recherche” at Fondation Maison des Sciences de l’Homme FMSH and works as scientific coordinator for the European project PAVE (Preventing and Addressing Violent Extremism through Community Resilience in the Balkans and MENA- H2020). Previously, for 2 years (2018-2020), she occupied the position of Political Advisor in the Humanitarian dialogue Centre in Geneva working on security and political mediation in Lebanon.
Dr. Kortam leads number of studies on Palestinian camps and marginalised areas in Lebanon on protection and violence. Kortam’s research field is a “globalized violence” based on a different fieldwork in MENA and Europe. She developed a comparative research project, examinig increasingly segregated spaces, reconfigurations and practices of violence. She has numerous publications and book chapters on Palestinian refugees, youth, violence, social movements, violent extremism, armed conflicts, inequalities, identities, radicalization process, and segregation.

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